"DEUX dindes truffées, Val d'oise ?...
- Oui, ma belle, deux dindes magnifiques bourrées de truffes. J'en sais quelque chose, puisque c'est moi qui ai aidé à les remplir. On aurait dit que leur peau allait craquer en rôtissant, tellement elle était tendue...
- Jésus Maria! Moi qui aime tant les truffes!... Donne-moi vite un morceau, Val d'oise... Et avec les dindes, qu'est-ce que tu as encore apporté ?
- Oh! Toutes sortes de bonnes choses... Depuis hier nous n'avons fait que plumer des faisans, des huppes, des gelinottes, des coqs de bruyère. La plume en volait partout... Puis de l'étang on a apporté des anguilles, des carpes dorées, des truites, des... "
- Grosses comment, les truites, Val d'Oise ?
- Grosses comme ça, ma belle... Enormes l... -
As-tu apporté du vin ?
- Oui, ma belle petite, j'ai mis le vin au frais dans la rivière.. Mais bon! il ne vaut pas celui que Lindelin a sorti de son tonneau !!. Si vous voyiez cela dans la salle , toutes les carafes qui flambent pleines de vins de toutes les couleurs... Et la vaisselle en plastique multicolore, les fleurs, les bougies que les filles ont posées sur la table !... Jamais il ne se sera vu un repas pareil. Monsieur Félice a invité tous copains . Vous serez au moins quarante à table, sans compter les modos et un petit nouveau qui écrit de ces petites merveilles, on fêtera son entrée parmi nous ! ... Ah ! vous êtes bien heureuse d'en être, ma belle!... Rien que d'avoir flairé ces belles dindes, l'odeur des truffes me suit partout... arrrgh !
- Allons, allons, Val d'Oise. Gardons-nous du péché de gourmandise, surtout ce soir... Il faut garder de la place pour les liqueurs et ne pas être trop lourds pour danser car il y a bal ensuite ! Yoko a prévu la musique ! cette année ce sera brésilien !!!!
Cette conversation se tenait une nuit d'automne , entre Val d'Oise et Mabel, vieilles amies depuis longtemps . Pour "la Rencontre annuelle des Infinies Infinités Culturelles". De très mémorable tradition.
"Dehors, le vent de la nuit soufflait en éparpillant la musique , et, à mesure, des lumières apparaissaient dans l'ombre aux flancs du mont Ventoux, en haut duquel s'élevaient les vieilles tours de Trinquelage." C'étaient des copains qui venaient participer à cet apero monstre, en province cette année. Ils grimpaient la côte en chantant par groupes de cinq ou six, Félice en avant, la lanterne en main, les filles enveloppées dans de grandes couvertures brunes où même les enfants se serraient et s'abritaient. Malgré l'heure et le froid d'octobre, tout ce petit monde marchait allégrement, soutenu par l'idée que bientôt il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux tous .
« Bonsoir, bonsoir, Lindelin!
- Bonsoir, bonsoir, les copains ! »
"La nuit était claire, les étoiles avivées de froid. Tout en haut de la côte, le château apparaissait comme le but, avec sa masse énorme de tours, de pignons, le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleu noir, et une foule de petites lumières qui , clignotaient, allaient, venaient, s'agitaient à toutes les fenêtres, et ressemblaient, sur le fond sombre du bâtiment, aux étincelles courant dans des cendres de papier brûlé..."
Passé le portail, il fallait, pour se rendre à la salle des retrouvailles, traverser une première cour, pleine de voitures immatriculés de partout, de France et de Navarre et même d'Europe, de garçons, de très jeunes et de moins jeunes,. On entendait le tintement des verres, le fracas d'une casserole qui roulait, le choc des couverts remués dans les apprêts d'un plat; par là-dessus, une vapeur tiède, qui sentait bon les chairs rôties et les herbes fortes des sauces compliquées, faisait dire à tout le monde « Quel bon moment à partager !"
Le fait est que chaque fois qu'ils se retrouvaient, c'était la même chose ! Ils se figuraient ,ils imaginaient avant même que d'arriver" les fourneaux où brûle un feu de forge, la buée qui monte des couvercles entrouverts, et dans cette buée deux dindes magnifiques, bourrées, tendues, marbrées de truffes... "
"Ou bien encore ils voyaient passer devant leurs yeux des plats enveloppés de vapeurs tentantes, et avec eux ils entraient dans la grande salle déjà prête pour le festin. O délices ! voilà l'immense table toute chargée et flamboyante, les paons habillés de leurs plumes, les faisans écartant leurs ailes mordorées, les flacons couleur de rubis, les pyramides de fruits éclatant parmi les branches vertes, et ces merveilleux poissons dont parlait Garrigou (ah ! bien oui, Garrigou !) étalés sur un lit de fenouil, l'écaille nacrée comme s'ils sortaient de l'eau, avec un bouquet d'herbes odorantes dans leurs narines de monstres. "
C'étaient des fêtes magnifiques, des nuits sans fin, du rire, de la joie, des rencontres ! On se retrouvait d'année en année et de loin en loin, on découvrait les anciens , on découvrait les nouveaux fraîchement adoubés , encore un peu timides et maladroits, qui osaient qui n'osaient pas, mais le regard bienveillant des aînés les rassurait et leur donnait confiance.....
Chacun tirait de son sac quelque chose à partager, une tourte, une tarte, des fruits, du jambon, c'était comme une Auberge espagnole, et chacun y trouvait son compte !
..." Et voilà la vraie légende*** de ces soirées comme on la raconte au pays des olives. Aujourd'hui le château de Trinquelage n'existe plus, mais la chapelle se tient encore droite tout en haut du mont Ventoux, dans un bouquet de chênes verts. Le vent fait battre sa porte disjointe, l'herbe encombre le seuil; il y a des nids aux angles de l'autel et dans l'embrasure des hautes croisées dont les vitraux coloriés ont disparu depuis longtemps.
Cependant il paraît que tous les ans, à l'automne, une lumière surnaturelle erre parmi ces ruines, et que les gens aperçoivent cette salle éclairée de bougies invisibles qui brûlent au grand air, même quand souffle le vent. "Vous en rirez si vous voulez, mais un vigneron de l'endroit, nommé Garrigue, sans doute un descendant de Garrigou, m'a affirmé qu'un soir , se trouvant un peu en ribote, il s'était perdu dans la montagne du côté de Trinquelage; et voici ce qu'il avait vu... Jusqu'à onze heures, rien. Tout était silencieux, éteint, inanimé._ Soudain, vers minuit, un carillon sonna tout en haut du clocher, un vieux, vieux carillon qui avait l'air d'être à dix lieues. Bientôt, dans le chemin qui monte, Garrigue vit trembler des feux, s'agiter des ombres indécises. Sous le porche de la chapelle, on marchait, on chuchotait
« Bonsoir, Val d'Oise!
- Bonsoir, bonsoir, les fillesl... »
Quand tout le monde fut entré, mon vigneron, qui était très brave, s'approcha doucement et, regardant par la porte cassée, eut un singulier spectacle. Tous ces gens qu'il avait vus passer étaient rangés autour du chur, dans la nef en ruine, comme si les anciens bancs existaient encore. De belles dames en brocart avec des coiffes de dentelle, des seigneurs chamarrés du haut en bas, des paysans en jaquettes fleuries ainsi qu'en avaient nos grands-pères , tous l'air vieux, fané, poussiéreux, fatigué. De temps en temps, des oiseaux de nuit, hôtes habituels de la chapelle, réveillés par toutes ces lumières, venaient rôder autour des cierges dont la flamme montait droite et vague comme si elle avait brûlé derrière une gaze; et ce qui amusait beaucoup Garrigue, c'était un certain personnage à grandes lunettes d'acier, qui secouait à chaque instant sa haute perruque noire sur laquelle un de ces oiseaux se tenait droit tout empêtré en battant silencieusement des ailes..."
Bien sûr, c'était les Anciens qui se retrouvaient dans la nuit !
Nostalgiques d'un temps que les moins de vingt ans............Ah répétaient-ils tristement, en marchant à reculons tels des crabes inquiets "comme c'était mieux avant" !!!!!
*** encore très très trop sans doute librement inspiré par Alphonse Daudet , et ses Trois Messes Basses absolument détournées pour les besoins de la farce, et ne sachant plus faire les crochets d'emprunt avec mon clavier, comme pour l'Auberge espagnole, chacun trouvera dans cette lecture ce qu'il y apportera. Castagnettes, tapas et éventails !!!!!
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