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Le Styx par Gillesgamesh

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LE STYX Tu veux mon avis ! Bon, alors voilà, je vais te le donner, mais je ne suis pas sûr qu’il te plaise…. Me voici donc, moi vieil homme, m’adressant (à ta demande), à celui qui est dans la force de l’âge, moi qui aurais pu, dans un autre monde, être ton Père. Tu veux savoir ce que je pense de tout ça, et que je te dise, à toi en plein été de la vie, ce que j’ai pu comprendre d’elle, à l’orée de mon hiver…. Je dois te dire que je ne suis pas en mesure de te rassurer … La vie ne t'a rien promis, elle t’a laissé venir à elle, c’est tout. Sans contrat. Passons sur tes parents. Ils ont fait ce qu’ils ont pu pour toi : donc peu. Il ne faut pas leur en vouloir, ils t’ont aimé « à l’aveugle », passionnément, donc de travers, en se faisant mal, comme tous les parents. Tu ne pouvais pas savoir. Nous ne comprenons qu’après coup ce que nous avons à vivre. Nos colères, nos engagements, nos amours. Sur tout ce qui nous importe, notre savoir vient toujours trop tard. Les optimistes te diront qu’une expérience malheureuse est un enseignement : « On ne m’y reprendra pas !! » Ne les crois pas ! Ce qui est le plus vivant en nous est obstiné. Et nous répétons… Je me souviens de mes amours…. C’est bien sur ce point que tu voudrais quelques lumières, n’est-ce pas ? Tiens ! Je vais te raconter un cauchemar que j’ai fait, il y a quelques nuits, moi et mes 83 ans ! Je me promène dans la rue, je regarde les passants, les terrasses des cafés. Je rêve un peu, n’étant déjà plus tout à fait d’ici : l’ensemble de ma vie est un souvenir, et rêvasser le monde est maintenant vivre ma vie. Une femme que je ne connais pas me prend fermement par le bras et me contraint à la suivre. Je me tais, je ne lui demande rien : juste un mauvais pressentiment. Elle ne dit pas un mot non plus, et nous voici au pied d’un grand escalier. Elle me fait signe de monter : comme tu vois, l’escalier n’est pas toujours le meilleur… En haut, une très grande porte qui s’ouvre avec lenteur, et une salle immense, toute en longueur. Tout au fond de la salle, un bureau très large où sont assises trois femmes qui me font face, immobiles et sans expression particulière : je ne devine pas ce qu’elles me veulent. Une main se pose dans mon dos et me pousse vers elles. Un peu de lumière vient de la gauche de la salle. C’est à ce moment là que j'aperçois, alignées à droite sur toute la longueur de la salle, des femmes, debout, immobiles et silencieuses, qui me regardent. Je peux distinguer leur visage en passant devant elles, toujours poussé vers le grand bureau. Ce sont mes amours mortes, là, toutes rassemblées sur une rangée de reproches. A ce moment là, je comprends que je suis dans une sorte de Cour d’Assises, moi, l’accusé. De quoi ? Parvenu à quelques mètres des trois « juges », la main prend mon épaule et m’arrête. Une des trois femmes prend alors la parole, et sans me regarder, murmure d’un air distrait ces mots qui m’emplissent de terreur : « Comment pensez-vous vous acquitter de votre dette ? ». Tu vois, je me suis réveillé en sueur le cœur battant. Il était 4h du matin et je n’ai pas pu me rendormir, de peur que le cauchemar ne recommence. Que sont maintenant ces femmes ? Mortes ? Vivantes encore, mais où ? De cette « dette », je ne sais rien, sinon que je ne m’en acquitterai jamais. Déjà ombre de ma vie, ma mémoire, Styx obscur, coupable d’un crime qu’elle mesure mal, draine les pâles fantômes de leur visage qui se défait. Tu me diras sans doute que je t’apporte peu de lumières, et que tu attendais plus d’un homme aussi âgé que moi. Pourtant, relis moi je te prie : ce cauchemar est le cœur encore vivant de ce qui reste de mon temps. Pardonne moi de n’avoir su mieux faire. Je penche vers toi le peu d’amour dont je suis encore capable.

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