Cétait là, tout à lheure, quand le chat est venu réclamer ses croquettes. Sur le réveil, ombré par un soleil insistant et déjà haut, les leds verts criaient du haut de leurs digits quil était dix heures dix.
Cétait à ce moment là que jai compris. Que tout se précisait dans la tête.
Aujourdhui était un jour spécial. Une journée particulière.
Rien ne serait comme avant. Ni comme après. La particularité de ma quotidienneté pourtant maussade et récurrente allait révolutionner tout lunivers. Tout mon nunivers.
On me lavait dit. Cétait le problème avec les nombres. Tout serait question relative. Rien dabsolu. Tout dépendrait de la mise en équation. Et surtout, de la détermination du point zéro. Du point origine, tu serais forcément dans une zone particulière un jour ou lautre.
Seulement voilà. Je ne pensais pas que ce jour arriverait aujourdhui. Si vite. Cest vrai, si vite. Comme le temps passait vite dans cet univers où les TGV roulent à cinq cents kilomètres par heure et où même les chats atteignent cinquante à lheure. Cétait troublant quand on savait quil fallait attendre au moins vingt minutes pour rechercher un recommandé dans un bureau de poste.
Cétait le jour D qui sannonçait. Non, pas le jour J. Ni le jour D comme Day. Nous nétions pas en Amérique. Nous étions bien en Francilie.
Cétait un jour cardinal. Cardinal, oui, tu pouvais me croire, cétait un jour cardinal. Cétait là lindice. Lindice indicible. Lindice indicible qui décimerait tous les corps.
Dabord, le corps des chiffres. Oui, tu le savais pourtant. Dix nétait pas un chiffre, cétait un nombre. Cétait cela la nouveauté. Quand tu récitais les chiffres avec les doigts. Tu oubliais le zéro et tu rajoutais le dix. Enfin, pour une personne normale et pas manchot, par exemple.
Mais là, le dix, cétait le nombre, le vrai premier nombre. Certes, les dix premiers chiffres pouvaient être compris aussi comme des nombres, mais les nombres-chiffres, les gens, ils les confondaient. Là, pour le dix, il ny avait plus de confusion possible.
Tu pouvais le comprendre.
Pour définir le nombre dix, il fallait absolument imaginer un système numéral qui tînt la route. Là, le système décimal. Un zéro placé après le un. La base dix. Tu le faisais quand tu étais en primaire, les bases. Tu avais un paquet de carottes. Au crayon, tu rassemblais des paquets de dix carottes. Tu avais inventé la base dix. Tu aurais pu aussi découvrir le système hexadécimal en rassemblant seize carottes, cela taurait été utile pour ton informatisation neuronale, ou des base soixante, ou vingt-quatre, pour bien régler ta montre, mais non, on te faisait regrouper par paquets de dix. Tu pouvais même atteindre cent en faisant des superpaquets de dix paquets de dix carottes
Mais en système binaire, tu avais déjà dû te gratter la tête. Tes dix carottes devenaient mille dix carottes. Un superpaquet de deux carottes et un supersupersuperpaquet de deux carottes.
Inversement, le nombre composé du un puis du zéro pouvait ne pas valoir dix mais simplement deux en base deux.
Sémantiquement parlant, tu apprenais un peu plus tard que dix était aussi à lorigine du doyen (chef de dix hommes), du décurion (chef de dix hommes aussi), de la dîme (la taxe valait dix pourcents du chiffre daffaires), de la décennie (dix ans), de la décade (dix jours) et du denier (le denier valait dix as).
Mais cétait aussi le néon (cétait son numéro atomique, dix protons), cétait létain (qui a donné son nom au dixième anniversaire de mariage), cétait lAube (qui était pourtant sous la responsabilité administrative de la bonne ville de Troyes et qui nétait pas reliée à Paris par lautoroute A10 qui, elle, allait vers Orléans, Poitiers et Bordeaux)
Je me suis alors levé du lit, jai donné à manger au chat, et jai découvert la particularité. Celle de ce jour exceptionnel. Que je navais jamais vécu et que je ne vivrais plus jamais de ma pauvre petite existence.
Sur le grand panneau dannonces municipales devant la mairie, là-base, saffichaient en leds oranges la date daujourdhui :
10.10.10 10:10
Jétais envahi de dix.
Jai cherché à les chasser et ils se sont incrustés dans mon petit cerveau.
Je nai plus jamais réussi à arracher cette satanée musique de mes synapses.
« Jai dix ans.
Des billes plein les poches, jai dix ans.
Les filles, cest des cloches, jai dix ans.
Laissez-moi rêver que jai dix ans.
Si tu mcrois pas hé,
Tar ta gueule à la récré. »
http://www.youtube.com/watch?v=5e4JlQ7sAJs
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