Il faut imaginer ça, d'un côté le bruit et la fureur du monde, les informations venues de toutes parts, les images, les nouvelles, les plaisirs fugaces, les faux-semblants, les alibis et les mensonges, la fulgurance, l' éphémère, et de l'autre,- mais pas tant que cela en vérité, presque en même temps dans le même espace les deux faces d'une même pièce, comme superposées- mais puisqu'il faut bien nommer les choses, de l'autre côté, cette indifférence, cette distance, ce silence criant installé au fond, au beau milieu de ces bris de verre coupants et meurtriers. Ou plutôt faisant barrière. Ou plutôt non. Ce silence bruyant et broyeur, infernale machine destructrice, lamineuse, trancheuse, de toutes ces pages d'une histoire sans fin, -la mienne- sans cesse recommencée, déchirées, découpées et hachées menu, puis aspirées à l'intérieur en ondes concentriques tournant sur elles-mêmes, étouffées, essorées, liquéfiées, jusqu'à disparaître complètement, dans une ultime convulsion.
C'est cela qui se passe. En dedans.
Parce qu'au dehors, rien ne peut se voir. Rien de détectable. Si ce n'est ce vague recul sur les choses. Quelque chose de négligeable. Juste comme un pas en arrière. Un pas que l'on ne fait pas. Plus. Ou que l'on fait mais sur le côté. Imperceptible.
Ce qui se passe en dedans, d'abord, c'est une décélération. Toutes les choses de la vie ordinaire, absolument familières, tous les décors, les paysages, les gens, les objets, la vie quoi, tout ce qui se passe et se joue, d'habitude, avec fracas, flonflons et aléas, devant les yeux grands ouverts, soudain se met à ralentir, à se figer presque, à cesser sa course, ou sa fuite, en avant. Alors tout ce grand train de la vie fastueux ou misérable, soudain amorce un freinage long et crissant, avant d'aborder une machine arrière, comme cette chenille de fête foraine, dont la course folle en avant s'interrompt pour une autre course folle à rebours, qui fait hurler les jeunes gens collés à leur siège par une implacable main d' acier.
Et voici que tout défile, progressivement au début, puis de plus en plus vertigineusement, en vrac et à folle allure, à l'envers et en désordre, les objets, les moments, les gens, les tourments, les joies, les peines, les couleurs, les odeurs, les saveurs, les sons, les émotions, les souvenirs en poussière, les amours mortes et en lambeaux, des silhouettes, des ombres, plus rien ne peut être retenu, arrêté...Tout s'enfuit dans les méandres obscurs et confus de la mémoire, jusqu'à ce qu'un jour, elle finisse -la mémoire ou ce qu'il en restera- par se recroqueviller sur elle-même pour ne plus rien savoir ni connaître de ses propres souvenirs enfouis.
Comment freiner. Comment renflouer ce paquebot qui coule à pic. Comment faire cesser cette chute perverse. Et irréversible.
Pour éviter le mal de mer, on dit qu'il faut fixer un point sur l' océan. Pour immobiliser le flux des vagues et les remous permanents de l'eau. L' oeil s'accroche à cette certitude du point fixe et ne se laisse plus distraire.
Ce qu' il faut c'est trouver un point fixe. Un ancrage. Pour que la rotation inouïe de la spirale du temps cède. Comme cale le vent après une tempête. Pour que s'arrête le tourbillon de la chenille. Et que l'on puisse souffler un peu.
Bon, j'ai bien ça en rayon. Un point fixe. Pour échapper au pire.
Un livre. Comme un miracle... et combien réparateur.
Et encore.....une cantate de Bach. Le rire de mes petits enfants. Un banc sous un arbre.
Cela devrait suffire.
une musique http://youtu.be/VPQ2BhJZgWE
un livre une inspiration Les Châteaux de la Colère de Baricco
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