Il a toujours fui ces femmes avec leur bouche peinte en rouge, sanguinolente. Elles lui font penser à des ogresses, dardant sur les pauvres hommes des doigts trempés dans une même mixture rouge pour un semblant de baise main mais prêtes à leur arracher le cur.
Et maintenant, il se trouve à la merci dune de ces étranges créatures : une image manufacturée de la tête aux pieds, une uvre, tout semble tiré au cordeau, pas une fausse note, rien ne dépasse, haro sur le naturel, labandon.
Elle est standardisée, aux normes quelle a faites siennes, un modèle qui est devenu un uniforme, une seconde peau, une évidence.
Chaque matin, il limagine se préparant,se transformant peu à peu en avatar delle-même quelle présente ou quelle offre parfois à ladmiration, au désir ou bien à la haine des autres.
Ce jour-là, elle le reçoit, il se tasse un peu sur sa chaise, fasciné par cette tache rouge qui se déforme sur des dents blanches bien alignées.
Il déchiffre plus quil nentend les paroles quelle prononce, toute son attention focalisée sur la bouche dogresse comme si le danger venait de là et quil fallait quil la surveille avant quelle ne sagrandisse démesurément et vienne
il se sent transpirer et tente de se redresser sur sa chaise, son champ de vision sagrandit, il regarde maintenant tout son visage, il découvre surpris et vaguement consterné quelque chose à laquelle il ne sattendait pas, des rougeurs et des boutons sont apparus sur le visage de logresse, petites craquelures mettant à mal le masque impeccable. Il ne voit plus que ça désormais puis il surprend une mèche rebelle qui séchappe de son brushing ; maintenant il est à laffût, il guette chacun des indices qui commencent à la rendre plus humaine à ses yeux.
Soudain, son regard est attiré par un mouvement sous le bureau : elle a ôté ses chaussures et elle masse doucement ses pieds nus en les frottant sur la moquette tout en continuant à lui parler le plus naturellement du monde.
Cest plus quil ne peut en supporter, il bondit hors de sa chaise comme sil avait été piqué par une guêpe, bredouille une excuse et se précipite hors du bureau.
Après quelques minutes de surprise, la femme hausse les épaules, se lève, fouille dans son sac, en tire un bâton de rouge quelle étale généreusement sur ses lèvres à laide dun miroir de poche, ajuste la mèche rebelle, remet ses chaussures avec un petit soupir, prend son téléphone et dit « envoyez moi le suivant ».
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