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Décalage vers le rouge par Jules Félix

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Ce n’est pas un com’ sur les manifestations, malgré le titre, mais sur l’UDF. Enfin, plus exactement, sur l'UDFy-38135539 : ce n’est pas le nom d’un parti politique mais d’une galaxie mise à l’honneur dans la revue "Nature" datée du 21 octobre 2010 et observée par l’Ultra Deep Field. Elle constitue la galaxie la plus vieille de tous les temps. Ou, plus exactement, la plus éloignée de l’univers. Enfin, ça revient un peu à la même chose. Il y a quelques temps, j’avais évoqué Hubble qui avait réussi à prouver expérimentalement que l’univers était en expansion, grâce au calcul de sa constante. Sur la constante de Hubble, voir : http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=75310 Cette galaxie au nom étrange, elle est vue telle qu’elle le fut il y a… très très longtemps, plus de treize milliards d’années. Mais ce qui est intéressant, c’est de compter dans l’autre sens : cette galaxie est la plus jeune jamais observée de nos jours, à savoir qu’elle date de six cent millions d’années après le Big Bang, cet événement singulier de l’espace-temps qui annonce le début de notre monde-à-nous. Si quelques secondes après le Big Bang, les lois de la physiques peuvent s’appliquer (d’abord physique quantique puis relativité générale), au moment du Big Bang (et a fortiori, avant le Big Bang, mais comment parler de "avant" si le temps n’existait pas encore ?), aucune loi n’est imaginable, seuls les jumeaux Bogdanoff peuvent prétendre savoir ce qu’il s’y est passé (ça pourrait faire l’objet d’un autre com’ mais ce n’est le sujet de celui-ci). Mais revenons à notre galaxie. Voici d’abord sa photo pour faire les présentations : http://minilien.fr/a0lw5j C’est le petit point orange entouré du gros trait rouge. Certes, elle n’est pas bien visible. C’est le télescope spatial à champ très profond appelé Hubble ("Hubble Ultra Deep Field") qui a pris ce cliché en 2004 en prenant plus de onze jours de pose. C’est un équipement extraordinaire, placé à six cents kilomètres du sol, lui évitant toutes les perturbations dues à l’atmosphère terrestre. Plus on est capable de regarder loin dans l’espace, plus on est capable de regarder loin dans le temps. La lumière met une seconde pour franchir près de trois cent mille kilomètres dans l’espace. La lumière, ce sont les photons émis par les astres, par les galaxies (qui ne sont que des paquets de milliards d’étoiles). En un an, la lumière franchit ainsi neuf mille cinq cent milliards de kilomètres. On appelle cette distance une année-lumière (attention, c’est une unité de distance, pas de temps). Notre soleil, lui, est à huit minutes-lumière de notre planète. Cela veut dire que nous avons une image du soleil en différé de huit minutes. S’il explose maintenant, il faudra attendre huit minutes pour le savoir (et commencer à nous inquiéter sur notre avenir). C’est le même décalage que pour les éclairs. Sauf que l’éclair arrive trop vite. Et le tonnerre beaucoup plus lentement (le son circule dans l’air nettement plus lentement que la lumière : mille kilomètres par… heure). Si on arrive à observer une étoile qui est éloignée de dix mille milliards de milliards de kilomètres, ça veut dire qu’on la voit telle qu’elle était il y a un peu plus d’un milliard d’années. Si cela se trouve, elle n’existe plus depuis très longtemps. Il y a un beau schéma de la NASA pour expliquer l’évolution de l’univers au cours du temps : http://minilien.fr/a0lwai Alors, cette galaxie UDFy-38135539, elle, elle est située à treize virgule un milliards d’années-lumière, c’est-à-dire qu’elle se montre telle qu’elle était il y a treize virgule un milliards d’années. Soit, comme je l’ai écrit, six cent millions d’années après le Big Bang. Six cent millions d’années, c’est rien ! Imaginez que le développement de la dernière tentative de vie sur Terre (dont nous sommes les heureux maillons) a duré sept cent millions d’années (je dis "dernière tentative" car on sait qu’il y en a eu d’autres avant, mais c’est un autre sujet). Pour se remettre dans le contexte : un milliard d’années après le Big Bang, le processus de réionisation de l’univers est terminé. Six cent millions d’années, cela veut dire que l’univers est encore en plein "tournoiement". Maintenant, passons à LA question que tout le monde devrait se poser (en tout cas, moi) : mais comment diable peut-on mesurer la distance d’éloignement d’une galaxie ?! C’est là toute la subtilité de la science. J’avais donc parlé de la constante de Hubble qui décrit une expansion continue de l’univers. Les émissions de photons (de lumière) des différents astres s’altèrent en fonction du temps. Ou plus exactement, se modifient. C’est ce qu’on appelle le décalage vers le rouge. Un phénomène un peu similaire à l’effet Doppler (pas du tout, en fait). La longueur d’onde qu’émet l’astre va aller en effet augmenter au fil de son "voyage". Commençant en ultraviolets (basses longueurs d’onde), le rayonnement va avoir tendance à se dévier de plus en plus vers les infrarouges (valeurs plus élevées de longueur d’onde). Pour cela, on introduit le nombre z appelé "redshift" (décalage vers le rouge) qui correspond au rapport de la différence de longueurs d’onde sur la longueur d’onde d’origine, soit, plus formellement : longueur d’onde finale (observée) moins la longueur d’onde initiale (émise réellement), le tout divisé par longueur d’onde initiale. z = (longueur_observée – longueur_émise)/longueur_émise Pour mieux comprendre ce décalage : la raie Lyman alpha de l’hydrogène (qui est à 121,6 nanomètres) est la principale raie d’un spectre de galaxie lointaine. Avec l’expansion de l’univers, tout le spectre est décalé vers le rouge et on peut ainsi déterminer le décalage en se basant sur la raie principale (en regardant à quelle longueur d’onde se retrouve la raie Lyman alpha dans le spectre observé). La loi de Hubble est (très simplifiée) ainsi : z = H * d/c (le * correspond au signe de multiplication) H est la constante de Hubble (cf com’ cité), c la vitesse de la lumière (constante) et d la distance de l’astre. Bon, ça marche quand z est très petit (inférieur à 1) mais en fait, c’est un petit peu plus compliqué que cela. La distance est plutôt exprimée sous la forme d’une intégrale comme ceci : http://minilien.fr/a0lwac Pour aller un peu plus loin dans le calcul, je vous invite à lire ce document .pdf : http://arxiv.org/pdf/astro-ph/9905116v4 Bref, pour résumer, il y a une certaine "équivalence" (pas proportionnalité) à parler de distance cosmologique, de durée (temps après le Big Bang) et de décalage de la longueur d’onde vers l’infrarouge. Et concrètement, c’est le rapport z qui est le plus intéressant à déterminer. Or, jusqu’à maintenant, les dernières observations ont donné un z égal à 6,96 en 2005 (Iye & al) puis en 2009 à 8,1 (Salvaterra & al) et à 8,2 (Tanvir & al). Certes, en été 2007, des astrophysiciens américains avaient déclaré avoir observé six objets encore plus éloignés, qui n’auraient eu que cinq cent millions d’années après le Big Bang. Il semblerait que cette observation (à grand renfort d’effet d’annonce) n’ait pas été confirmée par la suite (là, sans effet d’annonce). Voir l’artice sur le site de la BBC : http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/6292024.stm Matthew Lehnert et son équipe franco-britannique ont mesuré que la galaxie UDFy-38135539 correspondait à un z égal à …8,5549 ± 0,0002 ce qui signifie qu’elle date d’un peu moins de six cent millions d’années après le Big Bang. Plus clairement, la raie qu’ils ont caractérisée est à une longueur d’onde de 1 161,5 nanomètres. Voir le spectre de la galaxie ici : http://minilien.fr/a0lw9o Et l’article complet de "Nature" : http://minilien.fr/a0lw7x À l’époque de cette galaxie, l’univers était à la température moyenne de –244°C alors qu’aujourd’hui (malgré le réchauffement climatique !), elle n’est plus qu’à –270,42°C (le refroidissement thermique compense l’expansion de l’univers, en terme d’énergie). Matthew Lehnert, un Américain de quarante-cinq ans, est directeur de recherche du CNRS à l’Observatoire de Meudon et fait partie de ces chercheurs étrangers à qui l’Agence nationale de la recherche fait des ponts d’or. Portrait de Matthew Lehnert : http://www2.cnrs.fr/journal/4022.htm Au départ, donc, un point rouge sur le télescope Hubble qui lui paraissait être un bon candidat pour une galaxie lointaine. Il a refait pointer cette galaxie par le "Very Large Telescope" (au Chili), doté d’un miroir de plus de huit mètres de diamètre, avec un analyseur de spectre très sensible (SINFONI). Le temps de pose a été de seize heures (sur deux nuits) afin d’avoir suffisamment de photons pour en tirer le spectre. Une membre de l’équipe, Nicole Nesvabda (de l’Institut d’astrophysique spatiale d’Orsay), a parlé de deux mois de « travail colossal » pour démêler les données, les pollutions et les informations intéressantes. Petit à petit, l’humain remonte son temps. Hélas, il lui faudra arrêter à l’époque où il n’y avait pas d’émission de lumière. Finalement, il n’en est plus très loin. Mais pour l’atteindre (cette époque), il lui faudra concevoir des instruments optiques extrêmement perfectionnés. Dans les prochaines années, beaucoup de nouvelles observations devraient être possibles avec un z (décalage vers le rouge) autour de 10 quand seront opérationnels des télescopes encore plus performants : le EELT c’est-à-dire "European Extremely Large Telescope" (prévu au Chili pour 2017) et le "James Webb Space Telescope" (le successeur de Hubble dans l’Espace). Matthew Lehnert bosse déjà sur les prochains appareillages destinés au EELT. Récapitulatif des liens… Sur la constante de Hubble, voir : http://www.pointscommuns.com/lire_commentaire.php?flag=L&id=75310 La photo de UDFy-38135539 : http://minilien.fr/a0lw5j Schéma de l’évolution de l’univers : http://minilien.fr/a0lwai Équation pour calculer la distance d’une galaxie : http://minilien.fr/a0lwac Mesures de distance en cosmologie : http://arxiv.org/pdf/astro-ph/9905116v4 En 2007, une observation encore meilleure ? http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/6292024.stm Spectre de la galaxie : http://minilien.fr/a0lw9o L’article original de "Nature" : "Spectroscopic confirmation of a galaxy at redshift z=8.6" de Matthew Lehnert, Nicole Nesvadba, Jean-Gabril Cuby, Mark Swinbank, S. Morris, B. Clément, C. Evans, M. Bremer et S. Basa. Nature, vol. 467, pp 940-942 (21 october 2010). http://minilien.fr/a0lw7x Portrait de Matthew Lehnert : http://www2.cnrs.fr/journal/4022.htm Et deux articles qui en parlent : http://minilien.fr/a0lw9q http://minilien.fr/a0lw9r

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