Cet été là, outre les amis habituels, la maison s'était remplie de cousins, cousines de tous bords (nous étions les seuls à avoir une maison).
Un jour de ce bel été, mon frère qui vivait en Suisse est arrivé avec un ami, un dénommé Sandro, sublime brun au yeux verts et d'origine........... italienne.
Aussitôt, les hormones femelles ont frissonné (sauf les miennes parce que je savais pas encore que j'en avais !)
Moi, c'était vélo, balades avec la cohorte de mômes du coin, torpillages et saccages des pièges en tout genres pour sauver les bêtes.......... nettoyage de la cheminée et préparation du feu, c'était mon glamour à moi.......... sans compter le désherbage à main nues
Toutes les copines, les cousines ont sorti maquillages et tenues affriolantes, dans la campagne picarde, c'était d'un effet !
J'étais le 2e chien qui suivait son père partout, gâchait le ciment, tendais clous ou marteau, mais là, il m'a chassée « va rejoindre les autres »
Pour dire quoi, pour faire quoi, alors je suis allée dans le jardin vérifier que l'écureuil, qui avait élu domicile dans le poirier qui donnait une poire par an, était toujours là, surveiller la croissance des noisettes, m'asseyais sur le banc de pierre à 2 pas de la rivière............
A des années lumière de tout ce cirque coloré.
Seulement, le soir, quand mon frère prenait sa guitare, j'étais la seule à oser chanter, assise sur le rebord de la cheminée mon regard rivé au sien, attendant le signal et quand j'entamais du Grand Django, I can't give you anything but love, à voix basse..... j'oubliais tout, je m'oubliais
Sandro, j'évitais de le regarder, de toutes façons, il était assailli de toutes part par les hormones femelles, les questions fusaient ce qu'il faisait, où il habitait
....... moi j'avais les yeux sur mon feu, ma fierté.
Ce que j'aimais quand j'entendais « tu nous fais une petit flambée »......
Un soir, il avait été décidé de l'emmener en boite, les filles se seraient fait tuer pour un bout de miroir, les boitiers valsaient de main en main, on se serait cru au J.O de l'épreuve la plus difficile de toute : la course à la séduction.
C'était la mode des cuissardes, des mini façon sparadrap. Pas pour moi bien sûr, une cousine charitable avait entrepris de me maquiller, de me coiffer, je me laisse faire....... et me tend le miroir, oh ben ça alors, c'est moi cette jolie brunette.
On arrive donc dans les lieux, vides, les filles s'installent l'une à côté de l'autre, façon brochette, croisent haut leurs cuisses, bouches carnassières en sourire vainqueur.
Fières de leurs silhouettes moulées impec, moi mon moule était plutôt proche du Kinder surprise (j'exagère à peine).
Je me tiens au bout de la banquette, côté garçons.
Sandro, roi de la fête, a déclaré qu'il choisirait comme cavalière celle qui danserait le mieux.
Aussitôt les filles se précipitent sur la piste, lascives, excitantes, bouh la la, je participe pas à la course.
Et puis un rock démarre, on avait passé avec ce frère des week-end entiers à le danser, inventer des pas, des passes, on était raccord, rarement eu meilleur cavalier que lui (même papa fou de swing pourtant)
Il m'invite, on s'éclate sur la piste, je suis aux anges, on se fait toute la série et je retourne dans mon coin.
Quand la série de slows est arrivée, je vois une silhouette devant moi
........ Sandro me tend la main......... j'ai pu sentir la haine des filles aussi palpable qu'un mur hérissé de pics, tant d'efforts réduits à néant, pour voir l'objet de leur convoitise danser avec avec un tas informe et sans grâce. C'était ça que je lisais dans leurs regards charbonneux, ça me dérangeait pas, je pensais la même chose.
On a dansé, j'avais la tête dans les étoiles, j'étais sur les étoiles, le nez contre sa veste. Cette soirée a été un vrai rêve.
Au retour, dans la voiture, sa main autour de mes épaules......... et le regard de mon frère dans le rétro...... mélange de fierté « c'est ma soeur » de protection « si tu la touches t'es mort »
Arrivés à la maison, dans un nuage de parfums mêlés, les filles sont rentées, nous on est partis s'asseoir dans le hamac tendu entre le cerisier et le noyer dans le jardin côté rue, à se balancer épaule contre épaule. Il ne s'est rien passé de plus. Il est parti dormir « chez les garçons ».
Dans cette maison, il y a toujours eu une seule vraie chambre (celle des parents) le reste de l'espace divisé en deux, coins des filles et des garçons.
Vu le nombre d'intermittents du bonheur qui y séjournait, il était impossible de savoir qui arrivait et pour combien de temps, cette solution était de loin la plus sympathique....... on se quitte à nos frontières respectives.
Le lendemain, j'ai bien du mal à lâcher mon étoile, dans le jardin, je shoote dans un ballon crevé, Sandro arrive on se fait une partie, il fait l'idiot se roule par terre, moi je ris avec et fais mon show, je découvre que je suis drôle, il rit aux éclats, j'en rajoute, lui aussi, les filles se pointent évidemment et là un truc bizarre est arrivé; Papa a tout fait pour qu'on reste seuls Sandro et moi, sans doute en avait-il assez qu'on me considère comme le vilain petit canard.
Sandro me suivait partout, était curieux de tout ce que je faisais, c'était étrange cet intérêt, je lui montre mes disques, mes livres, comment je fais un feu, il semblait tout découvrir
On partait en balade, je lui montrais Mes coins, Mes chemins tout en ombre, en gadoue, en caillasses, sa main qui m'aidait.
Et le soir, quand mon frère prenait sa guitare, je sentais sur moi son regard............. bonheur
A table, sa place était à côté de moi, il prenait ma main en douce.
Et puis ils sont partis, rappelez-vous la scène de Dirty dancing quand Johnny s'en va, ben c'était ça exactement.
De retour à Paris, je reçois une lettre puis une autre et ça continue d'accord, d'accord........ et une énorme enveloppe, me sachant fan des Beatles, il avait raflé tout ce qui s'éditait sur eux en Suisse « à mon amour de France ».
Et l'histoire a fini en douceur.
Le beau Sandro se balance sur le fil de mes souvenirs, corde à linge où chaque drap, unique, m'enrobe de sa douce chaleur, quand le vent de ma mémoire les fait claquer.
↧