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Éloge de la grasse matinée par TimeoDanaos

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L'avenir appartient a ceux qui se lèvent tôt, bourdonnent les affairés. Tonino Benacquista a rectifié la formule comme suit : l'avenir appartient à ceux qui osent. Or, il n'y a pas d'heure pour les braves ; donc, on peut rester au lit et nonobstant prétendre. Imparable. Ergo, puisque voici réhabilitée la grasse matinée, à nous d'en faire l'éloge. Samedi, quelque part du fond de mon lit. Du côté de la vessie, une surpression point et me réveille. Il faudrait que je m’en occupe : après tout, je suis mon propre homme de peine. Mais j’ai développé depuis longtemps une méthode fiable pour tempérer cette injonction physiologique. Il me suffit de modifier très légèrement l’angle que forment mes jambes, en relevant par exemple assez haut le genou droit, et voici rétabli le silence des organes. Je viens de gagner une heure, à la louche. Je me vote un Te Deum intime, et me rendors… Nouvelle attaque de ventre, un peu plus tard. La ruse fonctionne encore et je note, un quart de l’œil au ras du traversin, que le soleil n’atteint pas encore le pied tourné de la lampe de chevet. Il doit être entre neuf et dix heures. J’hésite à tendre l’oreille pour préciser les minutes, l’effort à fournir risque de m’éveiller trop. Si de l’eau coule du côté de la porte, le voisin est au bain. Il est neuf heures tapantes. Si un diesel chauffe au parking, loin au-delà du coin opposé de la pièce, vers le dehors que je ne veux pas connaître, il est déjà près de dix heures, car le samedi de l’autre voisin consiste à promener sa voiture à Carrefour, assez tôt pour éviter la cohue, avec ses enfants dedans pour porter les sacs. Alors ? Douche ou diesel ? Buée chaude ou buée froide ? Miroir ou rétroviseur ? C’est amusant, cette façon de mesurer l’heure ! Boîte à savon ou boîte auto ? Tuyau d’eau ou tuyau de gazole ? Sphincter ou durite ? Pâte à dents ou … De guerre lasse, je m’enfouis… C’est une sonnerie qui me ramène. Un obtus a quelque-chose à me vendre et il a choisi la ligne du bas, celle du fixe, celle des pages jaunes et du profane. En général je décroche, j’écoute avec recueillement pour bien placer ma voix puis je dis, avec tout l’abattement qu’il m’est possible de ressentir, qu’il est vraiment dommage que cette offre/aubaine/opportunité me soit proposée justement aujourd’hui, alors que je reviens d’un enterrement. En général, l’importun s'éparpille en excuses et se retire plus vite qu’un ado de Katsumi, heureux de consigner un fait qui ne souffre pas l’ambiguïté et qu’il pourra marquer d’un « D » sur sa main-courante, D comme Divorce, Décès ou Déménagement. Le cas est prévu, ne nous privons pas d’en user, puisque nous n’avons pas mieux pour nous défendre. De même, je renvoie toujours les formulaires d’abonnement des journaux dans les enveloppes en port payé des offres de crédit, et vice-versa. Rien qu’à les glisser dans les boîtes jaunes de La Poste, j’ai l’impression d’allumer un pétard, ça me rappelle quand j’étais enfant de chœur. Tiens ! La sonnerie a cessé, sans que le bip d’un message ne prenne la suite. C’était donc bien un colporteur. J’ai rien perdu. Mais je suis assez éveillé pour entendre, très ténu et régulier, le son de cloche de la Mairie qui pourtant est à trois kilomètres. Me lever maintenant ne me coûterait pas. Je préfère néanmoins m’efforcer vers le rien. C’est fatiguant, la grasse matinée ! On comprend qu’elle ait mauvaise réputation. Et ce n’est pas très social : c'est le privilège de ceux qui dorment seuls. Le seul. Ils le paient assez cher, si vous voulez mon avis. C’est aussi l’avantage de n’avoir pas d’enfants. D’ailleurs Hitler, Robespierre ou Napoléon, et les enfants de ma sœur quand ils étaient petits, tous les grands emmerdeurs étaient contre la grasse matinée. C’est bien une preuve… Il reste un coin de frais là au fond, si j'allonge la main je peux le sentir. Il faut me mettre de travers, mais ça tombe bien, j'ai le lit pour moi. Ce faisant, je déplie la jambe, j'embrasse l'oreiller, je soupçonne le quart d'avoir sonné. Était-ce le quart ou la demie? Pour le savoir il me faudrait risquer un regard au réveil. Mais il est loin. Loin, un réveil ? Et bien oui, je l’avoue. Je n’ai trouvé que cette ruse pour m’empêcher de l’éteindre et de l’oublier les jours où je dois vraiment me lever. Je l’ai choisi sur son empreinte sonore, un tout petit peu inférieure aux environs de Roissy. Bon choix ; celui-là réveille l’immeuble, et moi aussi parfois. Aujourd’hui cependant, je rechigne à me hausser du col. La grasse matinée est un manque d'ambition. Un contentement d'ici-bas. J'attendrai le prochain carillon, ou celui d'après. Jamais le lit ne m'a reçu avec plus d’abandon généreux. Il m'épouse avec docilité, me pardonne ma brusquerie. Je lui dois bien quelque attention, je ne vais pas le planter comme un goujat… Parfois le pied dépasse du drap. Il prend le frais, il sonde l’air. Cela m'empêche de m'endormir le soir, mais c’est plutôt agréable au matin. Pour le ramener au chaud, je me love, replie, roule. Lentement, car ça réveille la vessie. Éviter aussi l'erreur qui consiste a enlacer la couette. Sa texture rappelle trop un corps et les pensées s’enlèvent, la main s'égare. Dans le demi-sommeil, il est facile de prendre ses désirs pour des complicités, faire les questions mais surtout les réponses, s'élire membre actif unique d'une société par actions, juge et parties. Cette pente est raide, elle dérange la parfaite vacuité du moment qui s'oriente alors vers la poursuite d'un objectif. La masturbation est le Mauvais génie, la fausse bonne idée, le contre-la-montre de la grasse matinée, parce qu'elle découpe un temps autrement perpétuel. Le répit qui suit le plaisir est de nature différente du temps qui a précédé : on s'échoue, on se met au sec, on rassemble des morceaux de volonté pour s'extirper d'un lit devenu confession et témoignage. Non. La masturbation n'est jouissive qu'à deux. Midi. L'heure du remord sonne. Que de choses j'aurais pu faire si je m'étais levé déjà. Que de choses mon voisin n'a-t-il pas déjà mises en ordre, réparées, expédiées, graissées, débloquées, quand je n'ai fait que durer. La Poste est en train de fermer. Encore un recommandé qui passera un week-end en bonne compagnie, pas comme moi. Il n'y aura bientôt plus de pain chez le seul boulanger passable du quartier. Heureusement l'épicier rouvre a 15h. J’ai de quoi tenir. En me rendormant, le temps me semblera moins long. Je bascule, sur le ventre et dans le mou… Le chat – je l’avais oublié ! – s’est autorisé une entrée indignée dans la chambre. Je le sens qui avance, un, deux, trois et quatre pas décidés. Un temps d’arrêt. Je ne le vois pas, je l’imagine se ramasser. Il va sauter sur la couette et me tintinnabuler un ronronnement en manière de reproche. Ce professionnel de la mollesse n’a aucune indulgence. Il se croit seul autorisé à des marathons de sieste, et n’a jamais – lui – dérogé à la routine des repas tout servis. Pas de chance minou, je colle aux draps. Ce matin on pourrait me jouer La Marseillaise que je ne broncherais pas. D’ailleurs dans l’état où je suis, si cela pouvait t’aider, j’aspire à devenir carcasse de poulet, à me laisser désosser : blanc, haut de cuisse, sot-l’y-laisse, croupion… Je te laisse tout ! Je veux bien me faire dévorer, finir démantibulé, aller pourrir au fond d’une poubelle. Arrête de me glisser tes moustaches sous le nez, tu me donnes envie d’éternuer. Je te dis d’attendre ! Fous le camp ! J’ai sorti un bras pour chasser le miauleur de leçons. Un peu coupable, je vérifie qu’il a compris. Il me tourne le dos et, de l’arrière-train, me donne un cours accéléré de dédain en trottant vers la porte. Ce faisant, je croise le regard rouge du réveil. Il est treize heures trente. Ce n’est pas mon record, mais c’est honorable. Je m’affale sur le dos avec la lourdeur d’une bôme. Le lit cogne le mur, j’emplis mes poumons, à fond, retiens l’air le plus longtemps possible, puis souffle avec délices à la face du monde ce contentement égoïste de n’être obligé à rien, que vivre. Et il me vient une pensée bien sotte, bien propre à égayer cette journée à moitié mangée que je m’apprête à ouvrir : c’est que Duval, autre dormeur fameux, n’eut pas autant de chance. Je sais, c’est minable…

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