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Je suis née dans un piano par Clra7

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Dès mon plus jeune âge , les pianos furent , de mes jeux, les plus intimes. Comment ? où ? Une petite explication s'impose. Ma grand-mère a fondé , entre les deux guerres, l'Ecole Marguerite Long-Jacques Thibaud. Sa vocation a toujours été de former pianistes et violonistes, en les accompagnant jusqu'au seuil de leur carrière professionnelle . Certains virtuoses en sont issus. A cela , elle ajouta le Concours Marguerite Long-Jacques Thibaud, qui existe encore . Les lauréats voient ainsi affluer les contrats pour des orchestres de tous pays.....le Président de la République assistant traditionnellement à la finale ! Pour ce faire elle loua un hôtel particulier : L' école au rez-de chaussée, son appartement de fonction, immense, au premier. C'est dans celui-ci que je passais chaque dimanche. Elle n'occupait qu'une seule magnifique pièce , où elle devisait avec mes parents. Qu'y avait-il dans les autres pièces ? Des pianos de concert ! où venaient répéter des solistes reconnus, des heures durant , la partition pour piano, composée pour orchestre. D'emblée, cela fascina la toute petite fille . Alors, petite souris à pas feutrés demandait à les écouter. Mais oui, bien sûr, viens. Je m'étais trouvé une place de rêve : sous le piano . Quel bonheur ! J'écoutais s'égrener les notes, des heures durant. Non, je m'en imprégnais . Cela devint mon univers. Les trilles m'exaltaient. Les blanches m'absorbaient Les nuances m'enchantaient Les contrastes me surprenaient Les reprises fréquentes d'un même fragment attisaient mon écoute . L'imaginaire était présence Pur jeu architectonique Surgi des profondeurs du corps . Le sentiment issu de la mouvance Interne et propre à l'âme mais vague et indéterminé . Tonalité, expressions , accords Et toutes les arabesques en mouvement Qui suscitent un contenu spirituel en rapport très étroit avec les formes sonores. J'avais l'impression de pénétrer , dans une parfaite liberté, au "fond" de la musique, sans trop savoir pourquoi. Pas de questionnements , et pourquoi, et comment , non. Une écoute concentrée, continue, intacte, authentique. Pure. Sans besoin d'extériorité, de pause, Rien. La petite souris suivait, note après note, le parcours sonore, des heures et des heures durant, dans une parfaire liberté La magie me tenait dans cet univers. Il y a bien un pourquoi, que diable ! Il me semble que des éléments de réponse , à la souris médusée, se trouvent dans ces textes, malgré leur hétérogénéité. Ainsi que le dit Hegel, la musique, à la différence des autres expressions artistiques ou littéraires, et, en raison même de son matériau , " le son périssable et évanescent" , originellement libérée de la spatialité et de la représentation externes , est par excellence l'art qui atteint "l'intériorité et la profondeur insondable des sentiments" . Mais, toujours selon l'auteur de l'Esthétique, faute pour le sentiment d'un révélation intérieure qui lui soit propre, celui-ci demeure par sa nature même condamné à "la nuit de l'indétermination", et en conséquence incapable en particulier de constituer un contenu esthétique véritable, quitte tout au plus à en être "l'enveloppe". Finalement, il n'y a pas de manifestation possible du sens. Dès lors se trouve scellé le "destin" de la musique, vouée à se replier sur elle-même à seule fin d'édifier une pure architecture sonore . A cette analyse, s'oppose Hanslick, qui rejette l'esthétique musicale hegelienne du sentiment et de l'expression, pour, ce faisant , rendre justice à la pleine autonomie des formes musicales . A témoin ce texte décisif : "Les formes sonores ne sont pas vides; elles ne sauraient s'assimiiler à de simples lignes délimitant un vide ( ndlr : allusion à la pure architecture sonore énoncée par Hegel ) ; elles sont l'esprit qui prend corps et tire de lui-même sa forme....La musique est une langue qu'il nous est impossible de traduire. Il y a quelque chose de profond dans l'emploi du mot "pensées"à propos d'oeuvres musicales". Ce texte complexe a un caractère prémonitoire ( 1854 ) par le fait d'avoir inauguré, à partir d'une mise en question de l"expression" , cette ère de bouleversement dont les héros ( un Debussy, un Schoenberg, un Stravinsky et les contemporains plus tard ) ne sont pas encore nés. Oui, dira Roland Barthes plus tard, les "êtres musicaux" sont bien en vérité des chimères corporelles".Et la clef de ce monde de la présence réside en dernière analyse dans le rythme ( Mallarmé ), en tant que royaume de sentiment et de l'imaginaire. "La musique , c'est du rêve dont on écarte les voiles; ce n'est même pas l'expression d'un sentiment, mais le sentiment lui-même " ( Debussy ) . Nous voici désormais hors de l'empire du concept. Si petite souris agite la boite à magie, qu'y trouve-t-elle , qui puisse justifier sa fascination ? Par quelle fenêtre s'y faufila-t-elle au point de se tenir, là, sous le piano, des années durant ? "Libérée de la spatialité et de représentation externe", sa concentration s'instaurait d'emblée. Elle était projetée d'emblée dans "le royaume du sentiment et de l'imaginaire", "propre à l'âme , mais vague et indéterminé" : quoi de plus libératoire pour une très petite fille ? Et puis un "imaginaire " qui était "présence surgi des profondeurs du corps" : tout, d'elle, pouvait y participer : Tout ! Tout d'elle pouvait se mobiliser, vous vous rendez compte ! Ca alors ! Sa tête, son coeur, ses sensations ! Mais c'est une immense découverte que tout son corps à elle puisse s'imprégner de tout ! La liberté d'elle-même ainsi découverte. Et puis "la musique c'est du rêve dont on écarte les voiles" : alors , là, c'est magique ! Cette magie des libertés musicales, petite souris l'a préservée, et la tient toujours au fond de son âme, intacte.

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