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Les hurlements de la bête en pleurs (2) par Matuvusalem

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Louis avait environ 40 ans lorsqu’il aperçut dans la voiture la petite fille qui pleurait. L’un ou l’autre de ses parents, harassé d’une nuit sans sommeil à veiller sa petite sœur malade, l’avait oubliée endormie sur la banquette arrière en se rendant au travail. Elle était tellement émouvante : il l’imagina tout de suite courant dans les prairies, une couronne de fleurs printanières ornant son front. Toute sa vie il avait eu envie d’avoir une fille. Là elle lui tendait les bras. Elle méritait mieux que ses ignobles parents. Il la prit contre sa poitrine, sa voiture les achemina chez lui. Il la plaça sur un matelas confortable au fond de la cave. Elle ne manquait de rien, « son auge remplie deux fois par jour d'une bonne pâtée de pommes de terre enrichie de son et de farine de maïs, d'épluchures de toutes sortes… » et aussi de mets humains délicieux. Les premiers temps elle pleurait lorsqu’il venait la visiter après son travail, mais jamais très fort. Parfois elle se balançait d’avant en arrière assise en tailleur, ou grignotait un petit bout de bois prélevé de l’armoire vermoulue qui était là. Par la suite elle était contente de le voir arriver, elle lui souriait en l’enlaçant et riait de sauter sur ses genoux. Le dimanche il lui apportait des mistral gagnants. Quelle joie ! elle l’aimait alors plus que jamais. Un jour il la consomma, ça devait en arriver là cette histoire, Natacha. L’amour fut très doux et partagé. Ils recommencèrent souvent, également ébaudis de cette richesse en eux-mêmes que l’autre leur révélait. Dans la journée elle se balançait de plus en plus fort, de plus en plus souvent, ne s’arrêtant que pour dérober des morceaux d’armoire à mâcher. Louis se trouva licencié de son travail, son patron lui signifia qu’il ne lui semblait plus avoir toute sa tête. Au fond de la cave, la folie prenait corps et enflait, envahissant tout le petit espace. La folie était là, c’était normal, c’était eux. Au fil du temps les deux êtres se mirent à gémir, puis à gronder, puis à crier, puis à couiner, de plus en plus fort, de plus en plus aigu. Un voisin moins sourd que les autres alerta la police qui les découvrit enlacés se souriant. Ils avaient commencé à se dévorer mutuellement le cou, les épaules, les bras. On éprouva la plus grande difficulté à les désincarner l’un de l’autre. Ils furent conduits séparément à l’asile.* Un soir Louis parvint à échapper à la vigilance des personnels qui le soignaient du haut de leur mirador. Au douzième coup de minuit il délivrait Natacha de sa camisole et ils s’enfuirent ensemble reprenant la voie de leur chemin infini, dévorants d’amour. * [La presse affamée se jeta sur une aubaine aussi croustillante. De doctes neuropsychiatres expliquèrent les zones des cerveaux perverties : il ne s’agissait pas de folie, juste d’aberrations biochimiques. Un philosophe se répandit dans les médias : cette affaire n’était que le symptôme d’une société entièrement vouée à la consommation. Les critiques de cinéma rappelèrent des titres de films à leurs yeux prémonitoires. Les mythologies grecque, latine, aztèque, musulmane, chrétienne, bouddhiste, juive, furent convoquées en renfort : des livres rapportaient que les dieux avaient pratiqué des actes similaires. Les partisans de la peine de mort se déchaînèrent. Des psychanalystes émirent des points de vue contrastés sur une fumeuse notion théorique de résilience. On ne manqua pas de trouver chez Paolo Coelho quelque nébuleuse maxime qui s’appliquait à ce cas précis, ad lib]

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