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Dites-le avec… par Jules Félix

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Dans "L’Enfer de Matignon" qui est tout autant un excellent documentaire télévisé qu’un livre, la journaliste Raphaëlle Bacqué explore les états d’âme et les anecdotes de tous les Premiers Ministres encore en vie, à l’exception notable de Jacques Chirac. On y voit même le témoignage de deux anciens Premiers Ministres aujourd’hui disparus, Raymond Barre et Pierre Messmer, et on y savoure les petits secrets de la fonction sans doute la plus prenante du pays avec Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Michel Rocard, Édith Cresson, Édouard Balladur, Alain Juppé, Lionel Jospin, Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin et même François Fillon (qui venait d’être nommé au moment de la réalisation du documentaire). Parmi les nombreuses petites histoires, il y a cette journée du 26 juin 1988 racontée très humoristiquement par Michel Rocard qui venait d’être nommé à Matignon et qui avait quelques ennuis de santé. Lors de son entretien habituel avec François Mitterrand avant le Conseil des ministres, Rocard est devenu tout pâle à tel point que Mitterrand le fit allonger sur son lit personnel. Au cours du Conseil des ministres, Rocard a obtenu la permission de Mitterrand, qui avait compris ses ennuis de santé, de quitter la salle avant la fin de la séance. Sous le (faux) prétexte officiel de terminer de préparer l’un des déjeuners les plus importants de sa vie politique : il avait invité Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, le premier chef des indépendantistes et le second chef des anti-indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, pour faire un accord de paix et régler une fois pour le problème de la souveraineté de l’île hors de la violence. Hélas, aucun des deux camps n’était parti à Paris pour faire des concessions. Pendant le déjeuner, les pourparlers reculaient donc. Parallèlement, le pauvre Rocard, malade et plié en deux, devait régulièrement s’éclipser jusqu’au moment où un médecin a compris qu’il était victime de coliques néphrétiques. Il lui a alors ordonné de prendre un bon bain chaud. La baignoire de Matignon se trouvait dans la salle de bains juste de l’autre côté du mur de la salle à manger. Le bain avait soulagé Rocard qui n’avait plus mal. De l’autre côté du mur, on commençait à s’inquiéter sérieusement de la santé de Rocard si bien qu’ils se sont dit qu’il ne fallait peut-être pas finir le repas sur un désaccord. C’est par cette petite passerelle de l’histoire que les Accords de Matignon ont été signés dans le but de stopper la violence entre indépendantistes kanaks et anti-indépendantistes caldoches. Cette signature, qui fut le résultat de la mission de Christian Blanc (qui devint ministre aux longs cigares de Sarkozy), eut pour conséquence la tenue du référendum sur la question du 6 novembre 1988 qui a approuvé le projet de faire un autre référendum dix années plus tard, encadré par les Accords de Nouméa du 5 mai 1998. Le 8 novembre 1998, un nouveau référendum renvoya à 2018 la possibilité d’une indépendance partielle du territoire. Une poignée de main historique entre deux camps en guerre civile : c’est une image très éloquente de toute approche de la paix. Hélas, la violence ne s’est pas arrêtée immédiatement. Souvent victimes des plus ultras de leur camp, les bâtisseurs de paix sont souvent en proie aux provocations (Sadate, Rabin etc.). Jean-Marie Tjibaou en a fait tragiquement les frais lors de son assassinat le 4 mai 1989 à Ouvéa, alors qu’il commémorait le premier anniversaire du massacre qui a coûté la vie à vingt-trois personnes. L’autre signataire, Jacques Lafleur, fils d’un grand industriel néo-calédonien et député pendant près d’une trentaine d’années, vient de s’éteindre samedi 4 décembre 2010 en Australie. Il a voulu rester le gardien scrupuleux des Accords de Matignon et a tout fait pour éviter, dix ans après, un "référendum guillotine" qui rejetterait l’indépendance et risquerait de jeter les indépendantistes dans une nouvelle spirale de la violence. C’est pourquoi il a réussi à convaincre Alain Juppé puis Lionel Jospin, son successeur à Matignon, de signer les Accords de Nouméa dont il a été également le signataire (Rock Wamytan étant le représentant des indépendantistes). Devenu l’un des acteurs les plus influents de la Nouvelle-Calédonie pendant plusieurs décennies, Jacques Lafleur a beaucoup étonné par sa "cuisine" politique, notamment lorsqu’il a soutenu la candidature de Balladur en 1995 alors que Chirac avait l’un de ses plus fidèles soutiens, puis en 2005 en se représentant dans dees élections internes alors qu’il venait d’installer son dauphin qu’il ne trouvait finalement pas à la hauteur. Le 10 juin 2007, il s’est fait battre par les électeurs (avec 11,7%) et semblait victime à l’intérieur de son camp de ses positions peu favorables à Nicolas Sarkozy alors que dans sa période "haute", il avait été parfois élu avec des scores exceptionnels (91,4% le 5 septembre 1982). Il démissionna de ses derniers mandats le 7 avril 2010 après plusieurs années d’isolement politique avec cette simple explication : « Je suis seul et je ne peux rien faire seul. Je crains qu’à force d’égoïsme, on se dirige à nouveau vers les troubles. Et moi, je suis trop vieux, je ne veux plus faire ce que j’ai fait pendant des années, c’est-à-dire mettre fin à la guerre civile ». Trop vieux, assurément. Né neuf jours avant Jacques Chirac : soixante-dix-huit ans dont beaucoup qui n’ont pas laissé indifférentes l’économie ni la politique en Nouvelle-Calédonie. Il vient de tirer sa révérence quelques mois après cette retraite définitive. Les larmes de crocodile fusent déjà de l’Élysée et de Matignon.

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