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AUF WIEDERSEHEN, GRAND-PERE ! ! ! par Fosterwelles

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Je tenais une forme surprenante ce matin… Là, comme j’étais, je me sentais dans l’état de faire des folies de mon corps. C’est tout dire, mon petit être fragile bouillait d’énergie. Vraiment, tout à ce moment paraissait uni pour que la journée fut formidable : mon mental flottait entre deux courants d’oxygène pure, ma bonne vieille carcasse de vingt-quatre ans avait avalé son bol de Nandrolone et ses tartines d’E.P.O., le ciel était absolument magnifique comme rarement je n’avait pu l’observer, les filles superbes, et mon dilettantisme en plein essor. Mon intuition me trompait assez peu souvent, je dois dire ! C’était parfaitement normal puisque cette charmante – somme toute du genre féminin ! – ne s’illustrait qu’au travers de son abstraction ; rien à voir avec les attrapes cons du style grande blonde sexy montée code civil et cerveau dépressurisé… Non…, en elle, j’avais une relative confiance. Ouaips, ça fleurait bon la foutue journée ! ! ! L’emploi du temps de l’oisif que je me plaisais à supporter, se déterminerait assez rapidement… en ça, je me faisais confiance ! Une fois arrivé en ville, la coutume veut que je m’engage à m’asseoir sur la terrasse de mon troquet petit bourgeois intello favori, en face du palais de justice, afin d’y prendre un petit noir et son cher frère bien serrés. Ce rituel m’est sacré. Je le plaçais alors, entre prières je-m’en-foutistes et foi en un dandysme décadent dont je me portais le garant de la mémoire, eut égard à Oscar Wilde. De plus, cette position en terrasse interpelle mon voyeurisme d’étudiant désappris. Je me délecte à observer le quidam, sa gestuelle, ses vêtements, sa façon de parler, de marcher, de regarder ou mépriser ses congénères. Je me sens comme assis au centre d’une des pièces magiques du Louvre, sur des coussins de tussor cardinal, l’œil admirant, contemplant amoureusement le défilé de toutes les œuvres, de toutes ces jeunes filles – qu’elles n’aient que 16, 24, ou 35 ans – avec leur jupette qui vole, suivant la grâce de leurs hanches ; vulgaires, distinguées, nymphettes ou junkies ; qu’elles soient posées sur les marches du tribunal, les mollets luisants au soleil et l’air d’attendre que le temps freine sa course ; qu’elles soient appuyées contre une vitrine ou sous l’abris d’un bus ; qu’elles courent, traînent des pieds, contemplatives ou affairées, coquines ou BCBG ; l’ensemble de ces merveilles me nourrit tout en me volant un rien de mes réserves d’amour, que je me plais à offrir à leur insouciance. Seulement, je les regarde et me laisse imaginer les séduire… Ensuite, j’abandonnerais mes pas à la rencontre d’un parc, y trouverais un banc public pour y bouquiner le Plexus de Miller, qu’une semaine avant j’avais commencé. Toujours mon regard s’échauffera, l’espace métamorphosé étant ! Un musée suivrait – peut-être celui des Beaux Arts – puis un ou deux cafés me prépareraient à l’aventure de quelques boutiques. Et finalement, pour clore cette écrasant jeudi, je verrais mes amis dans notre Q.G éthylique communautaire habituel… Ce serait une journée bien remplie, un marathon effréné n’ayant pour seul but que l’oubli de mon ennui, mentor extrême de ma solitude et de mon apathie. * * * Tout aurait dû se passer fabuleusement… Mais, c’était sans compter sur ma tête de linotte qui à ce défaut d’omettre systématiquement les rendez-vous ainsi que les autres évènements prévus depuis plus de vingt-quatre heures. Eh oui, Dieu a dit qu’aujourd’hui, ce serait jour de compassion lacrymale et de gérontophilie familiale… Mon grand-père de soixante-sept ans venait de passer l’arme à gauche, un lundi d’il y avait alors trois jours. Ce vieux débile, retraité chemineaux de la Nationale Senekefe n’arrêtait pas de se précipiter et de s’inventer les moindres prétextes à s’user les os. Dans cette boite de bons à rien, il s’y était épuisé pendant quarante ans, ce qui lui avait quelque peu encrassé les neurones, d’où ces quelques déraillements de décrépi sénile. Vous connaissez ces ouvriers : du 1er janvier au 31 décembre, ils râlent parce qu’ils triment comme des chevaux de trait et cela durant toute leur vie, exploités par le lobby sanguinaire du grand méchant patronat. Et dès qu’ils sont en retraite – sans ne plus avoir de compte à rendre à quiconque, ils ne trouvent rien de mieux que de brancher les turbines puissances dix, désespérés qu’ils sont de se découvrir incapable de foutre autre chose que de travailler comme les bêtes de somme… qu’ils sont en réalité, d’ailleurs. Des fourmis dans un jardin, qui tournent au fond de leur baraquement tout juste payé et qui commence à se casser la gueule. Du désespoir prolétaire vieillissant. Des pavés élimés pour panzers défraîchis ressuscités. De la chair à Grosse Bertha… Les voilà nos vieux de sous-classe, qui se sont transformés en fleurs fanées d’humus ; eux, les vainqueurs de l’austro moustachu hystérique d’un mètre vingt en chemise brune. A 67 printemps, ce cher vieux a voulu raccrocher les rideaux de la porte fenêtre qui donnait sur le salon ; pour ce faire, il n’avait d’autre risque que de grimper sur un escabeau, qu’il avait trafiqué lui-même, haranguant que maintenant, ce que l’on achetait « n’était pas du boulot ! »… Je veux bien, mais il n’empêche que ça lui aurait peut-être évité de se vautrer, et de se tuer, le cou brisé par un pot, qu’un splendide ficus embellissait. La faucheuse n’a eut qu’à écarter les bras pour emporter son âme d’intrépide vieillard buté ! Que voulez-vous, à cet âge-là, les cartes vermeilles n’en font qu’à leur tête ! Quoique vous leur disiez, rien à faire, ils s’en foutent, l’air inspiré de ne pas comprendre ! Dans cette satanée histoire, ce qui m’ennuyait le plus était le jour de la crémation. Cette après-midi à quinze heures. Je serais obligé de me manger les larmoiements convulsifs d’une famille dont je me rabattais les… Toutes ces conneries allaient mettre mon après-midi en l’air ! Je rageais d’autant plus que la crémation m’inspirait le plus vif dégoût… Tu te traînes ton corps pendant quatre-vingt piges, changeant une pièce ici ou là, de temps en temps, le nourrissant, l’entretenant ; et l’on voudrait me faire croire que ce produit gastronomique de qualité première, au combien contrôlé, devrait échapper au ver affamé du tiers monde souterrain, pour polluer la couche d’ozone, déjà bien esquintée. Décidément, l’homme n’apprendra jamais rien ! … Un ami à moi, qui avait, pour le plaisir, suivit quatre premières années de médecine et deux de physique, m’apprit – à mon grand étonnement ! – que le trou dans la couche d’ozone, provenait des flatuosités des vaches, moutons, chèvres, légionnaires, et autres homo sapiens, ainsi que des traditions ridicules perpétuées tout au long de l’histoire, par les peuplades étrangères dont le vice cabochard n’est autre que de brûler leurs morts sur des bûchers. En quarante-cinq, le juif, la tante et le tzigane avaient salement dégagé en dioxyde de carbone à cause de la frivolité de ces abrutis de boches industrieux… NON, j’insiste, rien ne peut valoir la terre nationale pour un cadavre ! A l’époque où tout doit être coordonné sur le recyclage, ce décret me semble être d’un minimum écologique… Les machines fonctionnant au charbon de bois sont loin désormais ; alors, entasser les dépouilles à seule fin de les traiter comme combustible se révèle obsolète, et pas commode : c’est que débiter un mec refroidi en d’assez minces morceaux pour être balancés à la pelle dans le fourneau, n’a rien d’évident… Et puis, ce n’est pas hygiénique, maintenant une goutte de sang peut vous faire sauter comme une bombe… L’hygiène, c’est important ! …Il y a certaines choses avec lesquelles je refuse de plaisanter ! Merde, le vingt et unième siècle a sonné ! De quoi aurons-nous l’air quand les petits hommes venus de l’espace débouleront de leur galaxie lointaine avec leur super technologie et leurs grosses têtes pleines d’intelligence, si nous nous servons des vieux crevés et des accidentés pour chauffer nos maisons en kit. Non, ça fera mauvais effet ! Et puis, la morale réprouve, nous ne tournons pas le remake de Soleil Vert ! Le corps ne peut être considéré comme étant une marchandise. En faire valoir l’intérêt commercial est choquant, surtout si ce dit corps est aussi froid qu’un inuit. Autour de la mort d’un être humain, tout un rituel s’établit, et cela depuis que l’homme est Homme. Sa conscience préfigure son frein au bonheur, qui le pousse ostensiblement vers la précipitation, à seule fin de vivre au mieux, sans ne jamais perdre de vue – consciemment ou non – que la mort reste présente, toute prête à vous attendre. Cet état primaire de conscience créa le personnage imperceptible de Dieu, en mobile convenu d’immortalité d’une partie spéculative qu’il est aisé de nommer âme. C’est en ce genre de croyance et en cette peur de se gourer que l’humanité a imaginé ce culculte, afin de célébrer à l’unisson de son ignorance, le tombeau de ses angoisses et l’avènement de sa vie éternelle. Le libertin ne s’affirme que sous la cagoule postiche de son snobisme, soit disant et forcément intellectuel, purement fortuit et misérablement absurde. Il ne suffit pas d’admirer Casanova et de se coincer un fume cigarette dans le beffrois pour se targuer de libertinage ; ceci, insoutenable, n’augure qu’en un fanfaronnage de littéreux imbécile ! L’approche de la mort le lui enseignera, et cela nue de toutes bottes de cuire ! L’agonie, voilà un cours que beaucoup finiront par suivre. Peut-être même tout à l’heure… * * * Le noir m’inspire la plus vive horreur, je le trouve par trop primitif engoncé dans son pathétique ! Voilà, l’apport que l’Europe tire de la colonisation de l’Afrique : la passion du terne, du lugubre, comme si cette couleur recouvrait l’étendue du mot mystérieux, du néant à la psychanalyse, en passant par l’humour pacifique de Malcolm X, que l’on prendrait avec un peu de mauvais esprit pour une star de film porno membré quarante centimètres. L’intello caviarisé s’y plante, dans la suie de son obscurantisme, pareil à l’intégriste, version black. Dehors, là où les gens sont heureux, un soleil d’été baignait la ville de sa béate luminosité. Un tel temps donnait envie de se promener et de profiter de l’air qui passe… …C’était un temps à ne pas aller s’enfermer dans le ventre d’un crématorium ! Mais, compassion oblige ! ! ! Collé à la fenêtre, je me mis à déprimer. Un tel régal météorologique allait me passer sous le nez ! Je me sentais déjà transpirer dans mon costume trois pièces noires, face au fourneau de Grand-Père. Ah ! Si seulement le vieux bougre avait eut la décence de se tuer pendant le week-end, plutôt que lundi, au moins la mise à feu aurait eut lieu hier, jour de pluie… De plus en plus douloureusement, je devais accepter qu’une aussi belle journée m’échapperait, et rien, ne parviendrait à me consoler. Certainement pas un possible héritage puisque sa charmante moitié fripée continuait à s’accrocher, tant bien que mal, à sa vie enflée de maux divers, varices et courbatures. L’au-delà la libérerait de toute cette fichue misère humaine, mais cette peau l’ignorait. Pensez-vous ! Je lui expliquerais bien l’aspect bénéfique qu’il y aurait pour elle à rejoindre le vieux. Mais je crois que, pour changer, personne n’apprécierait ce constat à froid, très vite ressenti comme du mépris méthodique, alors que dans le fond, mon sentiment part d’un saint humanisme. D’ailleurs, faut-il le préciser, mais mes propositions suivent une certaine mode, plus proche du palliatif que du monstrueux. BOUH ! ! ! Un peu de clairvoyance, je vous prie ! … L’être humain passe pour si borné parfois, qu’il m’arrive de me demander s’il ne mérite pas sa flatteuse connerie ! Enfin, j’étais prêt et j’avais encore une demi-heure devant moi, avant l’ouverture funèbre des festivités. Pour l’occasion, j’avais même pris la peine de repasser mon pantalon pensant que mon zèle permettrait d’oublier les chaussettes de tennis bariolées qu’à défaut j’avais dû enfiler. Les autres étaient sales et j’avais pris l’habitude de faire ma lessive le week-end. Cette fois encore, m’était avis qu’une nana ne serait pas de trop au milieu de mon bordel et de mes chaussettes sales. Pour changer, je croyais avoir le temps, sauf que j’avais oublié que la batterie de ma voiture était morte depuis hier. Paix à ses électrodes ! Le courage n’était pas mon fort, ainsi, impossible de me résoudre à porter cette stupide boîte jusque chez le garagiste qui truandait au coin de la rue. La chance me souriait dans mon malheur de feignasse. Un pote m’avait laissé pour la semaine son vélo en pension, suite à une fin d’après-midi olympique où quelques bouteilles de vin se libérèrent dangereusement de leur bouchon. Ca faisait bien un an que je n’avais pas touché le bout d’une pédale. Il avait fallut pour ces retrouvailles la mort d’un ancêtre… Heureusement, il ne pleuvait pas ! Le crématorium n’était pas loin, peut-être à cinq bornes. En vingt minutes j’y serais, suant comme une vache. Sur le chemin, au feu rouge d’un des carrefours sectionnant l’avenue du Général Gros Blase, alors que j’attendais, un pied à terre, dans une relative et noire impatience, le passage au vert, une Golf grise bloquée par l’autorité du feu, s’immobilisa à ma hauteur, la portière côté passager me reniflant la pédale. Le tas de ferraille m’avait serré de si près, que dans un reflex de surprise, je faillis me verser sur l’asphalte mollement odorante. Quel était le con qui… ? Mmmm ! Mmmmmmm ! Mmm ! Gnarff ! ! ! Cachées à l’intérieur de l’écrin allemand, se caressaient pleines d’innocence, deux longues jambes ambrées au fuselage et au galbe érectionnel parfaits. Les malheureuses avaient l’air de s’ennuyer… Je ne demandais pas mieux que de les distraire ces satinées mignonnes… Des cuisses comme jamais mon œil n’en avait matée, soyeuse à souhait, d’une fermeté qu’il me semblait palper. Des œuvres d’art lâchées en provocation par une ceinture de jupe, aussi scandaleuse que les idées qui fusaient de ma tête affamé à mon ignorée pudeur. Sur mon vélo, je suais maintenant à grosses gouttes. J’avais beaucoup de mal à garder mon calme, mes orbites, déjà, les pelotaient goulûment… Fichtre de foutu nom de Dieu ! En observant les pare-chocs arrières de la bavaroise, filée dans une direction opposée, au moment où le feu s’amusa à passer au vert, et que ses cuisses idéales se sont frottées pour une dernière fois – là, devant mes yeux excités, figés dans ma mémoire – il me revint à l’esprit qu’une crémation brûlait de hâte de me voir arriver. C’est en appuyant sur les pédales que je sus l’effet prodigieux de cette vision. Une furieuse tension transperçait mon caleçon, d’une violence telle que pédaler devenait un supplice. Supplice dont personne ne profiterait, bien entendu ! Fais chier ! ! ! Je ne sais pas si l’apparition d’un jeune type trempé, en costard noir, cravate noire et colère noire, en était la raison, ou si ma mine de martyre revenu du front planté sur une marche de cow-boy se voyait autant, toujours est-il que mon débarquement fût largement remarquée par l'ensemble du parterre familiale ! J’étais à l’heure, en dépit de la folle épopée dont je venais d’être le héros. Au lieu d’une Pénélope, un méchoui m’accueillait… Les invités bien volontaires formaient une étrange foule attirée par le fumet qui se dégageait de la cuisine aux ragots et aux bons souvenirs. Je saluais la meute opaque des gens qu’il me fallait reconnaître comme porteurs bâtards de mes gênes. Et avant d’entrer, puisque la bienséance l’exigeait, une larme de compassion lécha ma joue, tout à droite… Tout le long du hall, fichées dans le plafond, je percevais les empruntes de douches hors desquelles de sombres vapeurs figèrent un demi-siècle dans l’état de choc. Le long des murs, des soldats en uniformes noirs portaient les masques de nos terreurs, les pupilles bloquées, sans âme. AUSCHW… Souvenir imprononçable ! Au bout de la salle, le cercueil s’élevait, posé sur un socle recouvert de taffetas rouge. Tout autour, des fleurs ; devant, la famille ; loin derrière elle, au cœur de l’inconnu, je trouvais ma place. Ca irait,… seul le vieux flamberait ! * * * Comme prévu, après la célébration, j’étais allé rejoindre des amis au café irlandais dont ma décadente personnalité s’enorgueillissait d’être l’une des fidèles habituées. Nous avons discutés jusqu’au matin tout eu buvant de la bière et du vin blanc, le tout avec le rythme soutenu de vieux amis se heurtant sur des terrains controversé de disputes. Finalement, cette chaotique journée avait été étonnante. L’aplomb grand-guignolesque que nous avait valu le coup de théâtre pétaradant de l’ancêtre précuit, me cueillit dans mon cynisme d’aigri routinier. Inoubliable ! Excitante ! Explosive ! Halluuuuuuucinante ! ! ! L’orchestre de ses adjectifs convient parfaitement à l’impression décalée, toute en second degré de ce D.Day qui tout bonnement me souffla. Auf wiedersehen, Grand-Père ! Auf wiedersehen, cher Vieux ! ! ! Tu m’auras bien fait marrer. Ce treize juin quatre-vingt-treize restera dans les annales et sera prétexte à pas mal de blagues douteuses. Grand-Père aura usé la vieille jusqu’au bout. Elle le méritait bien cette peau délavée, maintes fois ses lamentables jérémiades, souvent suivies des reproches les plus imbéciles, donnèrent raison à ma haine. De son vivant – pauvre Grand-père, c’est une justice que je veux lui rendre ! – constamment, je l’avais entendu geindre, pleurer, gueuler qu’il l’emmerdait, qu’il ne comprenait rien à rien, que ce n’était qu’un vieux con sans ambition. A chaque fois que je l’entendais parler ainsi, l’envie me venait, vive et sans une once de pitié, de l’étrangler avec ses aiguilles à tricoter si fort qu’elles se seraient cassées faisant corps avec le craquement de ses nécrosées vertèbres de vieille salope. Cette bonne à rien, s’était dès le premier jour greffer à son avenir, comme un parasite, pour lui sucer toutes ses espérances, ses rêves et ses envies. Il était amoureux ; elle, ne l’était plus ; mais plutôt que de partir, elle lui fit payer au centuple sa vie insignifiante de garce paysanne. Je l’aurais tué… Vous savez, ce sont toutes ces conneries qui germent dans les moisissures des existences assaisonnées par l’habitude des p’tits gens, ces vomissures que se sent obligée de déglutir toute femme au terme de dix, vingt ans, désolée qu’elle est de voir ses seins et ses fesses à l’aspect de gants de toilette tomber suivant le délabrement général de son patrimoine charnel, regrettant amèrement, avec toute l’insistance bégayante de sa bêtise, sa jeunesse perdue : l’époque sainte où elle était autre chose qu’une pondeuse enfarinée plus proche de sa ménopause que de son feu dépucelage, qu’elle aura égaré un soir dans le foin de la ferme parentale, aidée par l’un des ouvriers de son papa. Il avait eut sa revanche en trois sets gagnants, sans concession. Quel final ! Quel feu d’artifice ! Je décidais que j’adorerais ce type depuis ce treize juin où ils ont essayé de le cramer. Une ultime fois, il dressa les plans de sa révolte en bon mutin pyromane. Qui aimerait partir par une cheminée ? Ne nous plongeons pas dans pareille aberration, cinquante ans et six millions de massacrés auraient voulu témoignés de l’absurdité mêlée d’irrespect corporel d’un tel choix. MEMOIRE ! ? Qu’importe, le feu de joie ravive ses braises. Sortez les bengales, aujourd’hui c’est saint Jean ! Que les intéressés en décident ou non, aucune importance ; eux ne sont pas là et échappent à la puissante signification, le poids d’horreur absolue, qu’une fumée noire, s’enfuyant de la gueule crasseuse d’un conduit sombre de dix mètres, abandonne à la douleur de la famille à qui est refusé l’empreinte du recueillement, et s’insinue, se confondant à la vitalité branlante du quidam sorti de sa tanière pour jouir de l’impromptu et non des souvenirs odieux de notre histoire humaine. La famille et les amis ont besoin de leur veau d’or pour se soulager l’âme, pour se remémorer celui ou celle que l’ON a assassiné. Un petit fils en avait besoin, aussi ! Je suis persuadé qu’il a regretté ses dernières volontés en se voyant brûler, quelque part dans l’au-delà… Oui, j’en suis persuadé ! ! ! … En ajout au deuil, Grand-mère se retrouvait, du jour au lendemain, totalement par surprise, sur la paille. Une paille que même une cloche n’aurait pas prise pour boire sa peine. Son cher et tendre feu mari la lui légua en dernière gratification, en plus de trente milles balles de dettes réparties de cafés en paris, en passant par la belote et une pute à qui il avait donné, en plus du meilleur de lui-même, le petit nom de Ewa. Elle lui rappelait une vieille maîtresse qu’il avait connue à Munich en quarante-quatre, alors qu’il bossait dans une scierie pour les boches, réquisitionné qu’il était, plaqué S.T.O. A sa pute, il devait trois milles balles ! Un après-midi, ce vieux cochon m’avait mis sur la piste, je ne sais plus par quel système alambiqué ; il était passé par les bombardements terribles qui plurent sur Munich à cet époque, à ce qu’il me semble. J’avais pris ça pour une blague… Je décidais que j’adorerais ce saligaud, deux fois plus !… Ses dettes furent appréciées et diffusées par le marais familial au sommet de sa dignité. En plus de tout ce cirque, qui aurait porté à la jubilation les frères Fratellini plus sûrement qu’un chrétien à la lutte avec les lions de César, sa dernière extravagance réussit à jeter sa veuve pleureuse devant le juge du tribunal de grande instance. A l’instant où la sentence fût prononcée par l’homme en noir, la vieille s’évanouit. Deux chaises horrifiées par le spectacle se retournèrent, expulsées par la charge flétrie de ma grand-mère qui tombait. Elle ne manquait jamais de se faire remarquer ! Même à l’intérieur de cette cour de justice, son caractère contestataire fit son boucan. Trois cent cinquante milles francs de dommages et intérêt. Une somme exorbitante pour la vieille qui n’en devait payer qu’un simple tiers. Les deux restant, étant à la charge du médecin qui s’occupait de Grand-Père. Le malheureux, en retraite depuis le lendemain du décès, allait devoir remettre à quelques années son déménagement en Normandie. Enfin le repos du travailleur libéral, loin des pollutions de la ville et de ses anciens patients, tombait à l’eau. J’avais de la peine pour lui. Il payait le produit de sa négligence. Il ne s’en sortait pas trop mal vu qu’il possédait un peu d’argent de côté. Son assurance couvrirait une bonne partie de la somme. La vioque, par contre, n’avait plus un rond en poche. Cette idiote avait oublié de renouveler l’assurance qui l’aurait financée en partie. Pas de bol, elle raquerait pour la totalité du tiers, qu’elle n’avait eut à payer que parce que le juge, dans sa grande clémence, pris en compte l’âge avancé, la douleur de la malheureuse causé par l’annonce du décès, tout en reconnaissant qu’elle avait signé sans précautions le formulaire. A la mort de toute personne, un formulaire est donné à la famille, ainsi qu’au médecin du défunt, afin de signer une reconnaissance attestant que le cadavre « n’était pas porteur d’un stimulateur cardiaque ou de toute autre appareil à pile ». La souffrance prend le dessus sur une bureaucratie non compréhensive au cœur de paperasse piqué d’un grand A ou B à l’x numéro coloré. À la vue de l’ensemble de ces raisons, la condamnation visant la fausse déclaration fut modérée. Trois cents cinquante milles francs divisés par trois. AMEN. Pauvre vieille, déjà que le veuvage ne lui plaisait guère, mais en plus, assister, en plein recueillement, à l’explosion du four qui s’acharnait à cramer son vieux con, la complètement traumatisé. Ah, Grand-père ! Un vrai casseur, même mort et à moitié carbonisé, il avait réussi à broyer le four crématoire, juste avant de s’envoyer en l’air, mais cette fois sans Ewa. Ca avait été foutrement poilant ! Enfin, pour ce qui concerne ma petite personne tout asociale, parce que la vieille, elle, n’a pas vraiment apprécié le comique de la situation. Du moins, c’est ce que je me suis permis d’en conclure après avoir vu son steak ridé s’effondrer au moment de la détonation. Boom ! La haute température qui régnait, aux alentours de deux milles degrés, à l’intérieur du foyer avait suscité une réaction chimique dans la pile cardiaque, et provoqué une explosion carabinée, à peu près identique à quelques grammes de T.N.T. Rien à voir avec une sauterie de la station Saint-Michel ! Un vrai quatorze juillet au Kosovo, quatre mois à l’avance ! La puissance de la déflagration a propulsé Grand-père, à un niveau cosmique où Ewa n’avait jamais réussi à l’emmener : le Huitième E.T.C. Ciel ! Un pote qui bossait au crématorium m’en parla le lendemain. Alléché par le sang coagulé et les larmes filtrantes de la mort, il m’avait téléphoné vers dix heures, m’expliquant de long en large, les détails sinistres du cercueil qui traversa la porte en fonte, tel un boulet d’acier projeté à plus de cent kilomètres à l’heure. Je m’imaginais sa tête acérée à l’autre bout du fil, l’œil vif tirant bêtement sur les commissures aqueuses de ses lèvres fines, laissant apparaître toute une série de petites dents pointues aussi jaunies que sa figure de cadavre rital. Ce sale type m’inspirait le maléfique, un mal bouffon, à la Méphistophélès. Pourtant, j’étais comme attiré, séduis par les pages empoisonnées d’un livre interdit qui s’ouvrirait après huit cents années de sommeil. Sans prendre la peine de lui dire au revoir, je raccrochais et je savais que caché derrière le combiné plastique du téléphone, il ricanait dans sa folie morbide. * * * Ce lugubre connard me rappela ce que Grand-père fût pour moi. Quelques souvenirs ! Des bribes singulières d’images ! Un noël où il s’était déguisé en Père Noël. Je l’avais reconnu par sa vieille montre qui lui venait de son père… Grand-père, aujourd’hui me manquait. Je l’avais beaucoup aimé…, à l’époque où, plus jeune je vivais chez mes parents au fond de cette damnée campagne. C’était il y a, je ne sais plus. Depuis, je les ai tous quitté, sur un coup de tête ; moi, le lâche, l’insensible, le petit intello prétentieux. Aujourd’hui, loin de tout ce passé, je passe mon temps à chercher à lui offrir une consistance ; je bois, fume deux paquets de clopes par jour, traînasse, et me plains. Aujourd’hui, à soixante bornes de mes jouets, je rate ma vie, essayant de rattraper les icônes et les parfums du passé, un grand-père mort que je me veux oublier. Une peau, dont l’élasticité se relâche, retient toujours pour un faible instant qui durera peut-être quelques années encore, l’amas de muscles abîmés rattachant ses vieilles joues de patriarche. De profondes et impatientes rides courent sur son front historique. Des taches de saisons fardent son impérieux visage automnal. Mon grand-père vieillit ! Ses tremblements, de jours en jours plus intenses, achèvent ma certitude en ce funeste sens. Bientôt, je le perdrais… Que pourrais-je y faire ? ! Oui, lui comme les autres n’eut, tout le long de sa vie que le droit d’entrouvrir la fente de ses yeux fatigués pour contempler une existence qui le fuyait, et dont, il ne pourrait jamais satisfaire la multiplicité des joies complexes. Vieillir et mourir, nous ne sommes fait que pour cela. VIEILLIR ET MOURIR. Alors, je dis non aux gens qui nous incrimineraient d’être incohérent, peu crédible, irrespectueux et méprisant de part l’étroitesse de nos pensées mortelles ; nous qui portons la malédiction de se pouvoir penser au seuil et dans le hall de la mort, sans jamais comprendre le mécanisme, ni le pourquoi de cette catin de porte. Nous avons tous ce droit à la souffrance et à la haine de devoir, par une loi mystérieuse, mourir. Mais puisque nous ne bénéficions que du choix de le tolérer, notre rage doit s’évacuer en se moment d’incompréhension. Le premier prétexte en subit le feu, c’est tout. La pensée, aussi abominable soit-elle, n’est pas le geste, rarement un mot, juste une vue protectrice d’un esprit apeuré. Sinon tous, nous serions des monstres, non ! Non ?

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