Je tenais une forme surprenante ce matin
Là, comme jétais, je me sentais dans létat de faire des folies de mon corps. Cest tout dire, mon petit être fragile bouillait dénergie. Vraiment, tout à ce moment paraissait uni pour que la journée fut formidable : mon mental flottait entre deux courants doxygène pure, ma bonne vieille carcasse de vingt-quatre ans avait avalé son bol de Nandrolone et ses tartines dE.P.O., le ciel était absolument magnifique comme rarement je navait pu lobserver, les filles superbes, et mon dilettantisme en plein essor.
Mon intuition me trompait assez peu souvent, je dois dire ! Cétait parfaitement normal puisque cette charmante somme toute du genre féminin ! ne sillustrait quau travers de son abstraction ; rien à voir avec les attrapes cons du style grande blonde sexy montée code civil et cerveau dépressurisé
Non
, en elle, javais une relative confiance.
Ouaips, ça fleurait bon la foutue journée ! ! !
Lemploi du temps de loisif que je me plaisais à supporter, se déterminerait assez rapidement
en ça, je me faisais confiance !
Une fois arrivé en ville, la coutume veut que je mengage à masseoir sur la terrasse de mon troquet petit bourgeois intello favori, en face du palais de justice, afin dy prendre un petit noir et son cher frère bien serrés. Ce rituel mest sacré. Je le plaçais alors, entre prières je-men-foutistes et foi en un dandysme décadent dont je me portais le garant de la mémoire, eut égard à Oscar Wilde. De plus, cette position en terrasse interpelle mon voyeurisme détudiant désappris. Je me délecte à observer le quidam, sa gestuelle, ses vêtements, sa façon de parler, de marcher, de regarder ou mépriser ses congénères. Je me sens comme assis au centre dune des pièces magiques du Louvre, sur des coussins de tussor cardinal, lil admirant, contemplant amoureusement le défilé de toutes les uvres, de toutes ces jeunes filles quelles naient que 16, 24, ou 35 ans avec leur jupette qui vole, suivant la grâce de leurs hanches ; vulgaires, distinguées, nymphettes ou junkies ; quelles soient posées sur les marches du tribunal, les mollets luisants au soleil et lair dattendre que le temps freine sa course ; quelles soient appuyées contre une vitrine ou sous labris dun bus ; quelles courent, traînent des pieds, contemplatives ou affairées, coquines ou BCBG ; lensemble de ces merveilles me nourrit tout en me volant un rien de mes réserves damour, que je me plais à offrir à leur insouciance. Seulement, je les regarde et me laisse imaginer les séduire
Ensuite, jabandonnerais mes pas à la rencontre dun parc, y trouverais un banc public pour y bouquiner le Plexus de Miller, quune semaine avant javais commencé. Toujours mon regard séchauffera, lespace métamorphosé étant ! Un musée suivrait peut-être celui des Beaux Arts puis un ou deux cafés me prépareraient à laventure de quelques boutiques. Et finalement, pour clore cette écrasant jeudi, je verrais mes amis dans notre Q.G éthylique communautaire habituel
Ce serait une journée bien remplie, un marathon effréné nayant pour seul but que loubli de mon ennui, mentor extrême de ma solitude et de mon apathie.
* * *
Tout aurait dû se passer fabuleusement
Mais, cétait sans compter sur ma tête de linotte qui à ce défaut domettre systématiquement les rendez-vous ainsi que les autres évènements prévus depuis plus de vingt-quatre heures.
Eh oui, Dieu a dit quaujourdhui, ce serait jour de compassion lacrymale et de gérontophilie familiale
Mon grand-père de soixante-sept ans venait de passer larme à gauche, un lundi dil y avait alors trois jours. Ce vieux débile, retraité chemineaux de la Nationale Senekefe narrêtait pas de se précipiter et de sinventer les moindres prétextes à suser les os. Dans cette boite de bons à rien, il sy était épuisé pendant quarante ans, ce qui lui avait quelque peu encrassé les neurones, doù ces quelques déraillements de décrépi sénile.
Vous connaissez ces ouvriers : du 1er janvier au 31 décembre, ils râlent parce quils triment comme des chevaux de trait et cela durant toute leur vie, exploités par le lobby sanguinaire du grand méchant patronat. Et dès quils sont en retraite sans ne plus avoir de compte à rendre à quiconque, ils ne trouvent rien de mieux que de brancher les turbines puissances dix, désespérés quils sont de se découvrir incapable de foutre autre chose que de travailler comme les bêtes de somme
quils sont en réalité, dailleurs. Des fourmis dans un jardin, qui tournent au fond de leur baraquement tout juste payé et qui commence à se casser la gueule. Du désespoir prolétaire vieillissant. Des pavés élimés pour panzers défraîchis ressuscités. De la chair à Grosse Bertha
Les voilà nos vieux de sous-classe, qui se sont transformés en fleurs fanées dhumus ; eux, les vainqueurs de laustro moustachu hystérique dun mètre vingt en chemise brune.
A 67 printemps, ce cher vieux a voulu raccrocher les rideaux de la porte fenêtre qui donnait sur le salon ; pour ce faire, il navait dautre risque que de grimper sur un escabeau, quil avait trafiqué lui-même, haranguant que maintenant, ce que lon achetait « nétait pas du boulot ! »
Je veux bien, mais il nempêche que ça lui aurait peut-être évité de se vautrer, et de se tuer, le cou brisé par un pot, quun splendide ficus embellissait. La faucheuse na eut quà écarter les bras pour emporter son âme dintrépide vieillard buté !
Que voulez-vous, à cet âge-là, les cartes vermeilles nen font quà leur tête ! Quoique vous leur disiez, rien à faire, ils sen foutent, lair inspiré de ne pas comprendre !
Dans cette satanée histoire, ce qui mennuyait le plus était le jour de la crémation. Cette après-midi à quinze heures. Je serais obligé de me manger les larmoiements convulsifs dune famille dont je me rabattais les
Toutes ces conneries allaient mettre mon après-midi en lair !
Je rageais dautant plus que la crémation minspirait le plus vif dégoût
Tu te traînes ton corps pendant quatre-vingt piges, changeant une pièce ici ou là, de temps en temps, le nourrissant, lentretenant ; et lon voudrait me faire croire que ce produit gastronomique de qualité première, au combien contrôlé, devrait échapper au ver affamé du tiers monde souterrain, pour polluer la couche dozone, déjà bien esquintée. Décidément, lhomme napprendra jamais rien !
Un ami à moi, qui avait, pour le plaisir, suivit quatre premières années de médecine et deux de physique, mapprit à mon grand étonnement ! que le trou dans la couche dozone, provenait des flatuosités des vaches, moutons, chèvres, légionnaires, et autres homo sapiens, ainsi que des traditions ridicules perpétuées tout au long de lhistoire, par les peuplades étrangères dont le vice cabochard nest autre que de brûler leurs morts sur des bûchers. En quarante-cinq, le juif, la tante et le tzigane avaient salement dégagé en dioxyde de carbone à cause de la frivolité de ces abrutis de boches industrieux
NON, jinsiste, rien ne peut valoir la terre nationale pour un cadavre ! A lépoque où tout doit être coordonné sur le recyclage, ce décret me semble être dun minimum écologique
Les machines fonctionnant au charbon de bois sont loin désormais ; alors, entasser les dépouilles à seule fin de les traiter comme combustible se révèle obsolète, et pas commode : cest que débiter un mec refroidi en dassez minces morceaux pour être balancés à la pelle dans le fourneau, na rien dévident
Et puis, ce nest pas hygiénique, maintenant une goutte de sang peut vous faire sauter comme une bombe
Lhygiène, cest important !
Il y a certaines choses avec lesquelles je refuse de plaisanter !
Merde, le vingt et unième siècle a sonné ! De quoi aurons-nous lair quand les petits hommes venus de lespace débouleront de leur galaxie lointaine avec leur super technologie et leurs grosses têtes pleines dintelligence, si nous nous servons des vieux crevés et des accidentés pour chauffer nos maisons en kit. Non, ça fera mauvais effet ! Et puis, la morale réprouve, nous ne tournons pas le remake de Soleil Vert !
Le corps ne peut être considéré comme étant une marchandise. En faire valoir lintérêt commercial est choquant, surtout si ce dit corps est aussi froid quun inuit.
Autour de la mort dun être humain, tout un rituel sétablit, et cela depuis que lhomme est Homme. Sa conscience préfigure son frein au bonheur, qui le pousse ostensiblement vers la précipitation, à seule fin de vivre au mieux, sans ne jamais perdre de vue consciemment ou non que la mort reste présente, toute prête à vous attendre. Cet état primaire de conscience créa le personnage imperceptible de Dieu, en mobile convenu dimmortalité dune partie spéculative quil est aisé de nommer âme. Cest en ce genre de croyance et en cette peur de se gourer que lhumanité a imaginé ce culculte, afin de célébrer à lunisson de son ignorance, le tombeau de ses angoisses et lavènement de sa vie éternelle.
Le libertin ne saffirme que sous la cagoule postiche de son snobisme, soit disant et forcément intellectuel, purement fortuit et misérablement absurde. Il ne suffit pas dadmirer Casanova et de se coincer un fume cigarette dans le beffrois pour se targuer de libertinage ; ceci, insoutenable, naugure quen un fanfaronnage de littéreux imbécile ! Lapproche de la mort le lui enseignera, et cela nue de toutes bottes de cuire ! Lagonie, voilà un cours que beaucoup finiront par suivre. Peut-être même tout à lheure
* * *
Le noir minspire la plus vive horreur, je le trouve par trop primitif engoncé dans son pathétique ! Voilà, lapport que lEurope tire de la colonisation de lAfrique : la passion du terne, du lugubre, comme si cette couleur recouvrait létendue du mot mystérieux, du néant à la psychanalyse, en passant par lhumour pacifique de Malcolm X, que lon prendrait avec un peu de mauvais esprit pour une star de film porno membré quarante centimètres. Lintello caviarisé sy plante, dans la suie de son obscurantisme, pareil à lintégriste, version black.
Dehors, là où les gens sont heureux, un soleil dété baignait la ville de sa béate luminosité. Un tel temps donnait envie de se promener et de profiter de lair qui passe
Cétait un temps à ne pas aller senfermer dans le ventre dun crématorium ! Mais, compassion oblige ! ! !
Collé à la fenêtre, je me mis à déprimer. Un tel régal météorologique allait me passer sous le nez ! Je me sentais déjà transpirer dans mon costume trois pièces noires, face au fourneau de Grand-Père. Ah ! Si seulement le vieux bougre avait eut la décence de se tuer pendant le week-end, plutôt que lundi, au moins la mise à feu aurait eut lieu hier, jour de pluie
De plus en plus douloureusement, je devais accepter quune aussi belle journée méchapperait, et rien, ne parviendrait à me consoler. Certainement pas un possible héritage puisque sa charmante moitié fripée continuait à saccrocher, tant bien que mal, à sa vie enflée de maux divers, varices et courbatures. Lau-delà la libérerait de toute cette fichue misère humaine, mais cette peau lignorait. Pensez-vous ! Je lui expliquerais bien laspect bénéfique quil y aurait pour elle à rejoindre le vieux. Mais je crois que, pour changer, personne napprécierait ce constat à froid, très vite ressenti comme du mépris méthodique, alors que dans le fond, mon sentiment part dun saint humanisme. Dailleurs, faut-il le préciser, mais mes propositions suivent une certaine mode, plus proche du palliatif que du monstrueux. BOUH ! ! ! Un peu de clairvoyance, je vous prie !
Lêtre humain passe pour si borné parfois, quil marrive de me demander sil ne mérite pas sa flatteuse connerie !
Enfin, jétais prêt et javais encore une demi-heure devant moi, avant louverture funèbre des festivités. Pour loccasion, javais même pris la peine de repasser mon pantalon pensant que mon zèle permettrait doublier les chaussettes de tennis bariolées quà défaut javais dû enfiler. Les autres étaient sales et javais pris lhabitude de faire ma lessive le week-end. Cette fois encore, métait avis quune nana ne serait pas de trop au milieu de mon bordel et de mes chaussettes sales.
Pour changer, je croyais avoir le temps, sauf que javais oublié que la batterie de ma voiture était morte depuis hier. Paix à ses électrodes ! Le courage nétait pas mon fort, ainsi, impossible de me résoudre à porter cette stupide boîte jusque chez le garagiste qui truandait au coin de la rue. La chance me souriait dans mon malheur de feignasse. Un pote mavait laissé pour la semaine son vélo en pension, suite à une fin daprès-midi olympique où quelques bouteilles de vin se libérèrent dangereusement de leur bouchon. Ca faisait bien un an que je navais pas touché le bout dune pédale. Il avait fallut pour ces retrouvailles la mort dun ancêtre
Heureusement, il ne pleuvait pas !
Le crématorium nétait pas loin, peut-être à cinq bornes. En vingt minutes jy serais, suant comme une vache.
Sur le chemin, au feu rouge dun des carrefours sectionnant lavenue du Général Gros Blase, alors que jattendais, un pied à terre, dans une relative et noire impatience, le passage au vert, une Golf grise bloquée par lautorité du feu, simmobilisa à ma hauteur, la portière côté passager me reniflant la pédale. Le tas de ferraille mavait serré de si près, que dans un reflex de surprise, je faillis me verser sur lasphalte mollement odorante. Quel était le con qui
?
Mmmm ! Mmmmmmm ! Mmm ! Gnarff ! ! ! Cachées à lintérieur de lécrin allemand, se caressaient pleines dinnocence, deux longues jambes ambrées au fuselage et au galbe érectionnel parfaits. Les malheureuses avaient lair de sennuyer
Je ne demandais pas mieux que de les distraire ces satinées mignonnes
Des cuisses comme jamais mon il nen avait matée, soyeuse à souhait, dune fermeté quil me semblait palper. Des uvres dart lâchées en provocation par une ceinture de jupe, aussi scandaleuse que les idées qui fusaient de ma tête affamé à mon ignorée pudeur. Sur mon vélo, je suais maintenant à grosses gouttes. Javais beaucoup de mal à garder mon calme, mes orbites, déjà, les pelotaient goulûment
Fichtre de foutu nom de Dieu ! En observant les pare-chocs arrières de la bavaroise, filée dans une direction opposée, au moment où le feu samusa à passer au vert, et que ses cuisses idéales se sont frottées pour une dernière fois là, devant mes yeux excités, figés dans ma mémoire il me revint à lesprit quune crémation brûlait de hâte de me voir arriver. Cest en appuyant sur les pédales que je sus leffet prodigieux de cette vision. Une furieuse tension transperçait mon caleçon, dune violence telle que pédaler devenait un supplice. Supplice dont personne ne profiterait, bien entendu ! Fais chier ! ! !
Je ne sais pas si lapparition dun jeune type trempé, en costard noir, cravate noire et colère noire, en était la raison, ou si ma mine de martyre revenu du front planté sur une marche de cow-boy se voyait autant, toujours est-il que mon débarquement fût largement remarquée par l'ensemble du parterre familiale !
Jétais à lheure, en dépit de la folle épopée dont je venais dêtre le héros. Au lieu dune Pénélope, un méchoui maccueillait
Les invités bien volontaires formaient une étrange foule attirée par le fumet qui se dégageait de la cuisine aux ragots et aux bons souvenirs. Je saluais la meute opaque des gens quil me fallait reconnaître comme porteurs bâtards de mes gênes. Et avant dentrer, puisque la bienséance lexigeait, une larme de compassion lécha ma joue, tout à droite
Tout le long du hall, fichées dans le plafond, je percevais les empruntes de douches hors desquelles de sombres vapeurs figèrent un demi-siècle dans létat de choc. Le long des murs, des soldats en uniformes noirs portaient les masques de nos terreurs, les pupilles bloquées, sans âme. AUSCHW
Souvenir imprononçable !
Au bout de la salle, le cercueil sélevait, posé sur un socle recouvert de taffetas rouge. Tout autour, des fleurs ; devant, la famille ; loin derrière elle, au cur de linconnu, je trouvais ma place.
Ca irait,
seul le vieux flamberait !
* * *
Comme prévu, après la célébration, jétais allé rejoindre des amis au café irlandais dont ma décadente personnalité senorgueillissait dêtre lune des fidèles habituées. Nous avons discutés jusquau matin tout eu buvant de la bière et du vin blanc, le tout avec le rythme soutenu de vieux amis se heurtant sur des terrains controversé de disputes.
Finalement, cette chaotique journée avait été étonnante. Laplomb grand-guignolesque que nous avait valu le coup de théâtre pétaradant de lancêtre précuit, me cueillit dans mon cynisme daigri routinier. Inoubliable ! Excitante ! Explosive ! Halluuuuuuucinante ! ! ! Lorchestre de ses adjectifs convient parfaitement à limpression décalée, toute en second degré de ce D.Day qui tout bonnement me souffla.
Auf wiedersehen, Grand-Père ! Auf wiedersehen, cher Vieux ! ! ! Tu mauras bien fait marrer.
Ce treize juin quatre-vingt-treize restera dans les annales et sera prétexte à pas mal de blagues douteuses.
Grand-Père aura usé la vieille jusquau bout. Elle le méritait bien cette peau délavée, maintes fois ses lamentables jérémiades, souvent suivies des reproches les plus imbéciles, donnèrent raison à ma haine. De son vivant pauvre Grand-père, cest une justice que je veux lui rendre ! constamment, je lavais entendu geindre, pleurer, gueuler quil lemmerdait, quil ne comprenait rien à rien, que ce nétait quun vieux con sans ambition. A chaque fois que je lentendais parler ainsi, lenvie me venait, vive et sans une once de pitié, de létrangler avec ses aiguilles à tricoter si fort quelles se seraient cassées faisant corps avec le craquement de ses nécrosées vertèbres de vieille salope. Cette bonne à rien, sétait dès le premier jour greffer à son avenir, comme un parasite, pour lui sucer toutes ses espérances, ses rêves et ses envies. Il était amoureux ; elle, ne létait plus ; mais plutôt que de partir, elle lui fit payer au centuple sa vie insignifiante de garce paysanne. Je laurais tué
Vous savez, ce sont toutes ces conneries qui germent dans les moisissures des existences assaisonnées par lhabitude des ptits gens, ces vomissures que se sent obligée de déglutir toute femme au terme de dix, vingt ans, désolée quelle est de voir ses seins et ses fesses à laspect de gants de toilette tomber suivant le délabrement général de son patrimoine charnel, regrettant amèrement, avec toute linsistance bégayante de sa bêtise, sa jeunesse perdue : lépoque sainte où elle était autre chose quune pondeuse enfarinée plus proche de sa ménopause que de son feu dépucelage, quelle aura égaré un soir dans le foin de la ferme parentale, aidée par lun des ouvriers de son papa.
Il avait eut sa revanche en trois sets gagnants, sans concession. Quel final ! Quel feu dartifice ! Je décidais que jadorerais ce type depuis ce treize juin où ils ont essayé de le cramer. Une ultime fois, il dressa les plans de sa révolte en bon mutin pyromane.
Qui aimerait partir par une cheminée ? Ne nous plongeons pas dans pareille aberration, cinquante ans et six millions de massacrés auraient voulu témoignés de labsurdité mêlée dirrespect corporel dun tel choix. MEMOIRE ! ? Quimporte, le feu de joie ravive ses braises. Sortez les bengales, aujourdhui cest saint Jean ! Que les intéressés en décident ou non, aucune importance ; eux ne sont pas là et échappent à la puissante signification, le poids dhorreur absolue, quune fumée noire, senfuyant de la gueule crasseuse dun conduit sombre de dix mètres, abandonne à la douleur de la famille à qui est refusé lempreinte du recueillement, et sinsinue, se confondant à la vitalité branlante du quidam sorti de sa tanière pour jouir de limpromptu et non des souvenirs odieux de notre histoire humaine. La famille et les amis ont besoin de leur veau dor pour se soulager lâme, pour se remémorer celui ou celle que lON a assassiné. Un petit fils en avait besoin, aussi !
Je suis persuadé quil a regretté ses dernières volontés en se voyant brûler, quelque part dans lau-delà
Oui, jen suis persuadé ! ! !
En ajout au deuil, Grand-mère se retrouvait, du jour au lendemain, totalement par surprise, sur la paille. Une paille que même une cloche naurait pas prise pour boire sa peine.
Son cher et tendre feu mari la lui légua en dernière gratification, en plus de trente milles balles de dettes réparties de cafés en paris, en passant par la belote et une pute à qui il avait donné, en plus du meilleur de lui-même, le petit nom de Ewa. Elle lui rappelait une vieille maîtresse quil avait connue à Munich en quarante-quatre, alors quil bossait dans une scierie pour les boches, réquisitionné quil était, plaqué S.T.O. A sa pute, il devait trois milles balles ! Un après-midi, ce vieux cochon mavait mis sur la piste, je ne sais plus par quel système alambiqué ; il était passé par les bombardements terribles qui plurent sur Munich à cet époque, à ce quil me semble. Javais pris ça pour une blague
Je décidais que jadorerais ce saligaud, deux fois plus !
Ses dettes furent appréciées et diffusées par le marais familial au sommet de sa dignité. En plus de tout ce cirque, qui aurait porté à la jubilation les frères Fratellini plus sûrement quun chrétien à la lutte avec les lions de César, sa dernière extravagance réussit à jeter sa veuve pleureuse devant le juge du tribunal de grande instance.
A linstant où la sentence fût prononcée par lhomme en noir, la vieille sévanouit. Deux chaises horrifiées par le spectacle se retournèrent, expulsées par la charge flétrie de ma grand-mère qui tombait. Elle ne manquait jamais de se faire remarquer ! Même à lintérieur de cette cour de justice, son caractère contestataire fit son boucan. Trois cent cinquante milles francs de dommages et intérêt. Une somme exorbitante pour la vieille qui nen devait payer quun simple tiers. Les deux restant, étant à la charge du médecin qui soccupait de Grand-Père. Le malheureux, en retraite depuis le lendemain du décès, allait devoir remettre à quelques années son déménagement en Normandie. Enfin le repos du travailleur libéral, loin des pollutions de la ville et de ses anciens patients, tombait à leau. Javais de la peine pour lui. Il payait le produit de sa négligence. Il ne sen sortait pas trop mal vu quil possédait un peu dargent de côté. Son assurance couvrirait une bonne partie de la somme. La vioque, par contre, navait plus un rond en poche. Cette idiote avait oublié de renouveler lassurance qui laurait financée en partie. Pas de bol, elle raquerait pour la totalité du tiers, quelle navait eut à payer que parce que le juge, dans sa grande clémence, pris en compte lâge avancé, la douleur de la malheureuse causé par lannonce du décès, tout en reconnaissant quelle avait signé sans précautions le formulaire. A la mort de toute personne, un formulaire est donné à la famille, ainsi quau médecin du défunt, afin de signer une reconnaissance attestant que le cadavre « nétait pas porteur dun stimulateur cardiaque ou de toute autre appareil à pile ». La souffrance prend le dessus sur une bureaucratie non compréhensive au cur de paperasse piqué dun grand A ou B à lx numéro coloré. À la vue de lensemble de ces raisons, la condamnation visant la fausse déclaration fut modérée. Trois cents cinquante milles francs divisés par trois. AMEN.
Pauvre vieille, déjà que le veuvage ne lui plaisait guère, mais en plus, assister, en plein recueillement, à lexplosion du four qui sacharnait à cramer son vieux con, la complètement traumatisé.
Ah, Grand-père ! Un vrai casseur, même mort et à moitié carbonisé, il avait réussi à broyer le four crématoire, juste avant de senvoyer en lair, mais cette fois sans Ewa. Ca avait été foutrement poilant ! Enfin, pour ce qui concerne ma petite personne tout asociale, parce que la vieille, elle, na pas vraiment apprécié le comique de la situation. Du moins, cest ce que je me suis permis den conclure après avoir vu son steak ridé seffondrer au moment de la détonation. Boom !
La haute température qui régnait, aux alentours de deux milles degrés, à lintérieur du foyer avait suscité une réaction chimique dans la pile cardiaque, et provoqué une explosion carabinée, à peu près identique à quelques grammes de T.N.T. Rien à voir avec une sauterie de la station Saint-Michel ! Un vrai quatorze juillet au Kosovo, quatre mois à lavance ! La puissance de la déflagration a propulsé Grand-père, à un niveau cosmique où Ewa navait jamais réussi à lemmener : le Huitième E.T.C. Ciel !
Un pote qui bossait au crématorium men parla le lendemain. Alléché par le sang coagulé et les larmes filtrantes de la mort, il mavait téléphoné vers dix heures, mexpliquant de long en large, les détails sinistres du cercueil qui traversa la porte en fonte, tel un boulet dacier projeté à plus de cent kilomètres à lheure. Je mimaginais sa tête acérée à lautre bout du fil, lil vif tirant bêtement sur les commissures aqueuses de ses lèvres fines, laissant apparaître toute une série de petites dents pointues aussi jaunies que sa figure de cadavre rital. Ce sale type minspirait le maléfique, un mal bouffon, à la Méphistophélès. Pourtant, jétais comme attiré, séduis par les pages empoisonnées dun livre interdit qui souvrirait après huit cents années de sommeil. Sans prendre la peine de lui dire au revoir, je raccrochais et je savais que caché derrière le combiné plastique du téléphone, il ricanait dans sa folie morbide.
* * *
Ce lugubre connard me rappela ce que Grand-père fût pour moi. Quelques souvenirs ! Des bribes singulières dimages ! Un noël où il sétait déguisé en Père Noël. Je lavais reconnu par sa vieille montre qui lui venait de son père
Grand-père, aujourdhui me manquait. Je lavais beaucoup aimé
, à lépoque où, plus jeune je vivais chez mes parents au fond de cette damnée campagne. Cétait il y a, je ne sais plus. Depuis, je les ai tous quitté, sur un coup de tête ; moi, le lâche, linsensible, le petit intello prétentieux.
Aujourdhui, loin de tout ce passé, je passe mon temps à chercher à lui offrir une consistance ; je bois, fume deux paquets de clopes par jour, traînasse, et me plains.
Aujourdhui, à soixante bornes de mes jouets, je rate ma vie, essayant de rattraper les icônes et les parfums du passé, un grand-père mort que je me veux oublier.
Une peau, dont lélasticité se relâche, retient toujours pour un faible instant qui durera peut-être quelques années encore, lamas de muscles abîmés rattachant ses vieilles joues de patriarche. De profondes et impatientes rides courent sur son front historique. Des taches de saisons fardent son impérieux visage automnal. Mon grand-père vieillit ! Ses tremblements, de jours en jours plus intenses, achèvent ma certitude en ce funeste sens. Bientôt, je le perdrais
Que pourrais-je y faire ? !
Oui, lui comme les autres neut, tout le long de sa vie que le droit dentrouvrir la fente de ses yeux fatigués pour contempler une existence qui le fuyait, et dont, il ne pourrait jamais satisfaire la multiplicité des joies complexes. Vieillir et mourir, nous ne sommes fait que pour cela. VIEILLIR ET MOURIR. Alors, je dis non aux gens qui nous incrimineraient dêtre incohérent, peu crédible, irrespectueux et méprisant de part létroitesse de nos pensées mortelles ; nous qui portons la malédiction de se pouvoir penser au seuil et dans le hall de la mort, sans jamais comprendre le mécanisme, ni le pourquoi de cette catin de porte. Nous avons tous ce droit à la souffrance et à la haine de devoir, par une loi mystérieuse, mourir. Mais puisque nous ne bénéficions que du choix de le tolérer, notre rage doit sévacuer en se moment dincompréhension. Le premier prétexte en subit le feu, cest tout.
La pensée, aussi abominable soit-elle, nest pas le geste, rarement un mot, juste une vue protectrice dun esprit apeuré. Sinon tous, nous serions des monstres, non !
Non ?
↧