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Bouteille à la mer... par Christensem

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Rien a changé sur le rivage. Même lumière dorée, même rumeur sourde, envoutante. Une symphonie de bouillonnements marins et de piaillements lointains. Les tribus de pluviers sont toujours là. Tricotant de leurs échasses sur le fil de l'océan. Une ribambelle de cavalcades dans les mouvances de l'écume. Une frénésie qui pioche dans sa dentelle pour se gaver de crevettes idiotes piégées par le sable. Allouma fait un bond en arrière. Par jeu. Pas question de se laisser toucher par la vague. Ne serait-ce que du bout de la semelle. Sur la pointe des pieds la voilà hors de portée. Au loin une silhouette se régale de cette ballerine des sables qui retourne en enfance. Derrière la dune, la cabane familiale est toujours debout. Ses murs n’en finissent plus de blanchir sous le sel. Un jour de grande marée le toit s’en est allé rejoindre les oiseaux sur la mer. Laissant une ruine menaçante comme une gueule ouverte sur le ciel. Une gorge muette maudissant les tempêtes qui rognent ses vieilles planches un peu plus chaque année. Allouma se souvient. La fameuse bouteille est arrivée dans sa vie un jour semblable à celui ci. Son père le pêcheur l’avait découverte au milieu des algues emmêlées sur le sable. Il y a vingt ans déjà. Alors qu’elle s'en retourne vers celui qui l'attend là-bas dans le vent, des images lui reviennent. Elle se laisse envahir. S’enroule dans ses pensées. Revient vers son passé. Elle avait à peine 12 ans ce soir là. Première nuit sans sommeil auprès de cette mystérieuse bouteille. Serrant dans ses bras ce trésor baladé sur les ondes depuis le bout du monde. Et pour la première fois le regard perdu bien au-delà de ses petites misères. Elle cherche les étoiles derrière la lucarne afin qu’elles lui raconte l’histoire du mystérieux flacon. Un papier illisible, décoloré par le soleil et quelques cailloux étranges usés par le temps, voilà ce qu’elle a trouvé derrière un bouchon rongé par la mer . Sur les murs de la chambre des ombres se déplacent. Une sarabande qui danse en rythme avec le phare, tout proche. Des pirates grimaçants sur le pont d’un galion. Une cale chargée d’or défaillant sur les flots. Une déferlante de trop. Un naufrage, une épave et quelques survivants. Quelque part sur une ile on creuse un grand trou. Au pied de son lit le plancher se lézarde au dessus du butin… Les reflets du flacon embrasé par sa fièvre lui dévoilent un mirage. L’agonie d’un gardien au dessus de son or. Et une bouteille à la mer pour tout dernier espoir... Allouma n’a plus dormi pendant toute une semaine. A l’école on s’interroge sur le mystérieux sourire qu’on lui voit à la place de la moue qu’elle promène d’habitude. Mais qu’est-ce qu’elle mijote cette nulle en calcul... Cette ignare en orthographe. Celle dont la tignasse fait glousser toute la classe. La fille du pêcheur, la Cosette du quartier... celle qu’on moque haut et fort pour ses habits en loques et ses godillots miteux. Les oiseaux sont repartis jouer dans les vagues. L’homme qui l’attend là-bas assis sur la jetée, agite une écharpe au dessus de sa tête. Perdu dans ses songes, Allouma se rappelle. Quelques semaines plus tard ses premières visites au musée de la ville. Ses longues heures sur les bancs de la bibliothèque à fouiller dans le passé d'un écumeur des mers. A la recherche d’un indice pour mettre un nom sur ces cailloux que le ciel lui envoie. Et puis cette soif de savoir et d’apprendre est venue tout balayer. Sa rancune, ses tourments, rien n'a survécu. Les entrailles de la planète enflammaient ses journées. Année après année, les collèges, les facultés, et les instituts se sont succédés... Pendant que les précieux cailloux usaient le fond de ses poches… Pour finir ce n’était que de pauvres minerais sans aucun intérêt. Mais le mystère est restée et la passion aussi. Jusqu'à ce que la fille du pêcheur devienne professeur à l’observatoire des sciences de la terre. Allouma a rejoint son père au bout de la jetée. Le vent forcit, il faut rentrer. Le vieux pêcheur adore lorsqu’elle prend le temps de venir passer quelques jours avec lui. Dans sa nouvelle maison là-haut sur le port on ne voit que la mer. Et surtout l’horizon. Allouma peut trainer des heures assises sur le balcon à caresser cette diable de bouteille qui n’a jamais voulu parler. Lorsqu’elle repart vers la grande ville, elle la replace sur le haut du buffet, au milieu des bibelots et des photos de familles. A ce moment précis, dans le regard du vieux on peut deviner comme une lointaine malice... Quelquefois ça lui brûle de tout raconter à sa fille. Ces cailloux remontés un jour dans ses filets, cette histoire de bouteille et son message bidon… Mais il ne le fera jamais. Parfois les mensonges sont si beaux qu’ils font pousser des roses au fond des caniveaux.

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